Quelle politique de santé
et de production animales ?
Le
12 de ce mois, l’Assemblée des Représentants du Peuple aura à examiner un
projet de loi portant sur le transfert des activités de Santé Publique
Vétérinaire des Services Vétérinaires, du Ministère de l’Agriculture au
Ministère de la Santé Publique. Qu’est-ce qui a bien pu motiver une pareille
démarche du Ministère de la Santé Publique alors que ces activités ont
toujours figuré parmi les prérogatives de Services vétérinaires qui s’en
acquittait fort bien ? Si de pareilles situations se produisent, cela est
très probablement dû à une absence de
politique réaliste de développement des productions animales et à une vision
limitée des activités vétérinaires.
Avons-nous une vraie politique pour que
ce secteur névralgique de l’économie du pays nous mette à l’abri du besoin et
nous protège contre les maladies transmissibles de l’animal à l’homme et contre
les toxi-infections alimentaires ? en fait, la direction de la production
animale et la direction générale des services vétérinaires du ministère de l’agriculture
nous ont habitué, à l’élaboration de stratégies, sensées assurer
l’autosuffisance alimentaire du pays et la protection du cheptel, sans tenir
grand compte de l’impact des maladies animales et des maladies liées à la
consommation d’aliments d’origine animale, sur la santé publique. Cette absence
de politique réelle a abouti aux résultats suivants :
Au niveau des productions
animales, les besoins
en viandes sont couverts à plus de 55%, par les viandes blanches, entrainant
une dépendance de plus en plus grande du marché international.
Les apports de viandes rouges sont
insuffisants par absence d’une production bouchère nationale. Le recours à
l’importation est la règle. Le programme d’amélioration génétique des bovins
n’existe plus que sur le papier.
La couverture des besoins en lait et
produits laitiers est assurée grâce aux importations continues de génisses
pleines alors que la contrebande de vaches laitières vers des pays voisins
s’amplifie.
Le programme de mise à niveau des
abattoirs est un échec retentissant et l’abattage clandestin a gagné en
anarchie et en prospérité.
L’alimentation du cheptel repose plus
sur les ressources extérieures que sur les ressources nationales. Les matières
premières pour la fabrication des aliments composés sont importées massivement
alors que les programmes de production fourragère et d’amélioration des
parcours ont englouti des sommes considérables sans résultats.
Sur le plan de la santé du
cheptel, les programmes
d’éradication des maladies transmissibles de l’animal à l’homme (zoonoses)
telles que la tuberculose bovine et la brucellose ont été un fiasco.
Les campagnes de vaccination des
maladies animales classées prioritaires, n’ont jamais pu atteindre un taux de
couverture vaccinale suffisant pour assurer la couverture immunitaire requise
contre ces maladies.
Les libres praticiens ont été maintenus,
pendant des décennies, hors du circuit de prévention et de lutte contre les
maladies animales.
Un nombre très important de cas de
maladies contagieuses ne sont pas déclarées. Des milliers d’animaux meurent
chaque année de ces maladies et beaucoup enregistrent des pertes de production
importantes et gardent de graves séquelles qui compromettent leur productivité
future.
Sur
le plan économique, des
pertes considérables sont enregistrées du fait de l’impact des grandes
épizooties, des zoonoses majeures et des principales maladies animales. Cet
impact est ressenti aussi bien au niveau de la santé des animaux qu’à celui de
la santé des personnes. Les pertes directes par mortalité et par morbidité et
la mobilisation des moyens matériels pour prévenir, contrôler et lutter contre
les maladies animales, représentent des sommes considérables et ne reflètent,
en réalité, que les pertes déclarées et visibles. La partie non visible des pertes
est représentée par les chutes de production et le manque à gagner. Le coût de
toutes ces pertes, indirectes et non quantifiées, est de très loin supérieur
aux estimations. La population paie également un important tribut aux
zoonoses : les cas de mortalité, les arrêts de travail et les frais
d’hospitalisation, les traitements de longue durée et les interventions
chirurgicales, sont nombreux et coûteux.
Tous ces échecs ne sont
pas sans raisons :
pendant des années, l’importation de viande et de poudre de lait a été
favorisée, au détriment de la production nationale. Une politique des prix,
défavorable à la production nationale a été pratiquée.
La
production de viande bouchère n’a jamais été valorisée.
Les
solutions de facilité ont toujours eu la faveur des responsables qui permettent
les importations de viande, de taurillons, d’aliment et de génisses, à grand
renfort de devises mais ne sont pas capables de mener à bien des programmes
vitaux de développement des productions nationales et de lutte contre les
maladies animales.
L’absence de continuité dans la
réalisation des programmes de développement et de protection du cheptel et de
la population est la règle.
Les budgets alloués au développement et
à la protection de l’élevage ont toujours été et sont toujours en complète
inadéquation avec les objectifs et les objectifs, malgré leur modestie, se
révèlent souvent trop ambitieux par rapport aux moyens mobilisés.
Pour toutes ces raisons,
il devient impérieux de tracer les grandes lignes d’une politique de développement des productions
animales et de protection de la santé animale de la santé publique et de la
santé environnementale qui pourraient être
les suivantes :
1.
Renforcer
le rôle du médecin vétérinaire comme acteur important dans les
activités qui traitent des risques pour la santé, aux interfaces
animal-humain-écosystème. Ces activités comprennent : la surveillance
épidémiologique, le diagnostic et la lutte contre les maladies, la sécurité alimentaire,
la qualité et la sécurité sanitaire des aliments, la prévention, la détection
précoce et la lutte contre les épizooties, les impacts variés du lien
humain-animal sur la santé et la qualité de la vie des personnes tels que le
bien-être des animaux, l’augmentation des productions animales, le soutien du
commerce des produits animaux, l’expertise clinique, l’utilisation responsable
des antimicrobiens, la protection de la biodiversité, la conservation génétique
et de la faune sauvage, le contrôle des mouvements des animaux sauvages et des
maladies qu’ils véhiculent, et la conservation des ressources naturelles.
2.
Favoriser l’insertion des médecins
vétérinaires au sein d’équipes multidisciplinaires, en raison de toutes ces activités et de
leur connaissance des liens biophysiques et socio-économiques entre santé
humaine, santé animale et écosystémique, dans les réseaux de soins de santé,
aux côtés des sociologues, des psychologues et des médecins de la santé
publique pour savoir comment les animaux et l’environnement, affectent la santé
et les aspects émotionnels des personnes.
3. Valoriser le rôle des médecins
vétérinaires, dans
la restructuration des services de santé publique où ils peuvent
participer aux questions, de sécurité sanitaire des aliments, de contrôle des
maladies transfrontalières et de santé environnementale. Au niveau de la recherche, ils
s’impliquent naturellement dans les domaines des sciences biologiques,
médicales et pharmaceutiques car leurs recherches s'inscrivent dans une
dynamique historique et ont toujours contribué aux avancées scientifiques de la
recherche médicale.
4. Renforcer la confiance de la société dans la qualité et la durabilité des
services rendus par les vétérinaires, services considérés comme « bien
public ». Cette confiance est basée sur le comportement éthique des
membres de la profession. Le stéréotype qui limite les rôles des médecins
vétérinaires au seul aspect de médecins des animaux, doit changer. De nos
jours, les connaissances scientifiques et les compétences cliniques ne
suffisent plus à assurer le professionnalisme et l’efficacité des médecins
vétérinaires.
5. Inclure les nouveaux concepts de « santé unique », de « santé de
l'écosystème », de « services vétérinaires » et de « bien
public » qui visent à atténuer les risques qui menacent la santé publique
et les écosystèmes, y compris la santé publique vétérinaire, dans les
programmes d'enseignement vétérinaire de base et de formation continue.
6. Développer la formation spécialisée exigée par les nouvelles exigences
sociétales et socio-économiques et par l'urbanisation accélérée de la clientèle
et une modification importante des actes et des services demandés au
vétérinaire. Cette spécialisation n'a plus rien à envier, dans certains
domaines, à la médecine humaine.
7. Hâter la restructuration indispensable
des structures administratives
qui veillent sur le développement des productions animales et qui sont
sclérosées et budgétivores à souhait. Ces
structures doivent subir une transformation profonde, adaptée à l’évolution de
la société et de ses besoins. Malheureusement et par manque de volonté
politique, les velléités de changement ne se sont traduites jusqu’à présent que
par des restructurations cosmétiques, provoquant la désaffection des
exploitants, des éleveurs et des représentants de la profession.
8. Renforcer les prérogatives des Services
Vétérinaires officiels pour
l’accomplissement de leurs missions, dans les meilleures conditions
d’efficacité et de célérité, car à l’heure où on a le plus besoin d’eux, leurs
prérogatives se réduisent de jour en jour alors que, des postes frontaliers aux
abattoirs et jusqu’à la distribution, le rôle des vétérinaires est fondamental
pour éviter ou limiter la propagation des maladies et la contamination des
animaux et de l’homme et pour protéger leur environnement.
9.
Faire des Services Vétérinaires la
seule autorité compétente dans l’inspection et le contrôle des denrées
alimentaires d’origine animale sur les lieux de production, les marchés,
les lieux de collecte, les lieux d’abattage, de transformation et de
commercialisation. Ce renforcement devrait être accompagné par
une réflexion sur la mise en place de nouvelles approches de prévention et de
lutte contre les maladies animales, mieux adaptées aux enjeux actuels de la
santé publique vétérinaire.
10. Démontrer
constamment la fiabilité des Services Vétérinaires car
toute mesure de restriction ou d’interdiction au commerce international
d’animaux et de produits animaux doit être justifiée par une évaluation
raisonnée du risque et il est devenu nécessaire de démontrer que ces
importations, constituent un risque majeur pour notre pays. Pour ce, il faut
non seulement démontrer la capacité de ces services mais également celle de
leurs personnels et de leurs structures de soutien, et notamment les
laboratoires de diagnostic et d’analyses.
11.
Développer un nouveau modèle de surveillance
et de prévention.
L'approche, qui a jusqu’ici prévalu et qui consiste principalement dans la
prophylaxie médicale, collective, obligatoire et gratuite mais dont le poids
commence à peser sur ceux qui ont la charge de la mettre en application, a besoin
d'être revue, notamment au regard des risques liés à l'introduction de
nombreuses maladies dites exotiques. Ce nouveau modèle
sera basé sur le contrôle aux frontières, les réseaux de surveillance
épidémiologique, les laboratoires de diagnostic, la participation active des
médecins vétérinaires du secteur privé, l’usage des technologies moderne de
communication, la formation des éleveurs et la sensibilisation du public.
12. Généraliser l’utilisation des
nouvelles technologies portables qui contribueront à
combler le vide dans l'information sur le mouvement et l'émergence de maladies
du bétail. Les applications des smartphones peuvent être utilisées pour de
meilleurs systèmes de surveillance, pour l'identification des menaces et pour partager
les données sur le bétail malade, ce qui peut accélérer la capacité
d'identifier et de signaler les maladies. Les données satellitaires utilisées pour
cartographier les précipitations sur de vastes territoires aident à prévoir les
maladies futures, influencées par les conditions climatiques locales comme la
fièvre de la vallée du Rift.
Les boucles d'oreilles « intelligentes » diffusent continuellement des
informations sur les mouvements d'un animal et peuvent nous avertir de
l’imminence d’une épidémie lorsque les animaux deviennent moins actifs.
13.
Entreprendre les actions vétérinaires sur
la base de nouveaux critères de rentabilité qui ne s’adresseront plus à
l’animal seul mais au troupeau et plus encore à l’ensemble de la spéculation
élevage au sein de l’exploitation, en tant que structure économique. La
médecine vétérinaire est une médecine économique où tout acte et toute
intervention sur un animal doit être calculé en fonction de la valeur de
l'animal et de la rentabilité qui en découle. Les services des vétérinaires
praticiens seront toujours limités par un seuil de rentabilité de plus en plus
bas et qui ne se situera plus au niveau de l'individu mais au niveau du
troupeau.
14.
Favoriser le préventif, qu'il s'agisse
de prophylaxie médicale ou de conseils, sur le curatif. Les Vétérinaires de leur côté, ne
doivent pas perdre de vue que seuls une agriculture prospère et un élevage
rentable peuvent offrir à leur profession un espace de développement. Or la
rentabilité de l’élevage ne peut être assurée que par son intensification mais paradoxalement, cette intensification se fera
aux dépens de la médecine vétérinaire traditionnelle, principalement curative
et coûteuse, parce que plus individuelle que collective.
15.
Assurer un financement pérenne aux
programmes de développement des productions, d’amélioration des
performances et de lutte contre les maladies, par la constitution d‘un fonds spécial de la santé animale,
alimenté par des prélèvements sur les importations et les exportations de produits
alimentaires d’origine animale, sur les taxes perçues dans les marchés aux
bestiaux et dans les abattoirs pour financer sans discontinuité les programmes
de prévention de lutte et d’éradication des maladies animales.
16.
Adapter l’activité du vétérinaire aux
données socio-économiques nouvelles ; un nouvel environnement est en
train de se mettre en place où les risques d’infections animales sont favorisés
par la globalisation. Les maladies
animales transmissibles à l’homme, acquièrent une importance
grandissante ; les épisodes de la Lucilie bouchère, de la vache folle, de
la grippe aviaire et plus récemment de la grippe porcine sont là pour en
témoigner.
17. Assurer une plus grande
collaboration entre les secteurs public et privé ; les incidents récents de la fièvre catarrhale du mouton et du virus
de l'Ebola chez les humains ont montré que des progrès peuvent être réalisés
lorsque les institutions de recherche financées par des fonds publics et les
compétences du secteur privé dans le développement de vaccins et de produits
antiviraux, sont combinées.
18.
En matière de productions animales, encourager l’activité d’engraissement
et valoriser les viandes issues de races à viande renommées. Elaborer un
calendrier et des quotas annuels dégressif d’importations, cahiers de charges à
l’appui, de viandes et de bovins laitiers et bannir l’importation de bovins sur
pied. Laisser jouer la loi du marché sur les produits alimentaires d’origine
animale. Imposer la catégorisation des carcasses aux abattoirs et des viandes à
l’étal. Valoriser les morceaux nobles de la découpe tout en imposant le
contrôle des prix des bas morceaux.
Les grandes lignes de
cette politique ne peuvent être concrétisées sans la création des structures
d’encadrement suivantes :
A. Créer
une Direction Générale des Zoonoses,
en modifiant l’organigramme du ministère de la Santé Publique ou du ministère
de l’Agriculture. Cette Direction emploierait des médecins vétérinaires et
ferait appel aux vétérinaires libres praticiens, dans le cadre d’un Mandat
Sanitaire, délivré soit par le ministère de la Santé Publique soit par celui de
l’Agriculture. Le vétérinaire est un acteur
important dans les activités qui traitent des risques pour la santé, aux
interfaces animal-humain-écosystème.
B. Créer
une Direction générale des marchés aux bestiaux et des abattoirs qui veillerait à l’organisation du
commerce des animaux sur pied et appliquerait les directives des services
officiels en matière de normes zootechniques et de programmes de protection de
la santé animale.
C.
Créer un Office de l’Amélioration
Pastorale et de la Production Fourragère, rattaché à la Direction Générale des Forêts, en
transformant l’Office de l’Élevage et des Pâturages et en confiant les missions
de développement de l’élevage à une Agence Nationale des services vétérinaires
et de l’élevage, à créer, au
Groupement Interprofessionnel des Viandes et du Lait, et aux fédérations
spécialisées en production animale de l’UTAP.
D.
Créer une Agence
Nationale, ou un Haut-Commissariat des Services Vétérinaires et de l’élevage,
ou toute autre structure, sous la forme d’un établissement public doté de
l’autonomie financière qui rassemblerait : santé animale, surveillance
épidémiologique, lutte contre les épizooties, promotion de l’élevage et des
productions animales, hygiène publique vétérinaire, pharmacie vétérinaire et
laboratoires de diagnostic.
Cette
politique de développement des productions et de la santé animale tient compte,
outre les effets de la mondialisation, des nouveaux concepts de « santé
unique » de « services vétérinaires » et de « bien
public » car, la population
humaine, la population animale et l’environnement sont intimement liés par des
liens multiples dont l’un des plus importants est la santé.
Dr. Khaled
El Hicheri
Président de
MVI
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