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Triple crise aux USA


Triple crise aux USA

Lors d’un récent sondage d’opinion - mené du 29 mai au 1er juin par POLITICO / Morning Consult – à la question de savoir si le pays est sur la bonne ou la mauvaise voie, seuls 31% des personnes interrogées ont répondu que le pays va dans la bonne direction – le poucentage le plus bas enregistré dans les sondages depuis que le président Donald Trump a pris ses fonctions au début de 2017 - alors que 69% ont répondu que le pays est sur la mauvaise voie. Rappelons toutefois que ce sondage a coincidé avec une triple crise dans la société américaine: l’épidémie de coronavirus la plus meurtrière au monde qui continue à sévir avec son cortège de morts et de désolation, l'économie américaine qui est à l’arrêt malgré la levée du confinement dans plusieurs Etats, les protestations généralisées contre le comportement brutal de la police.
La crise sanitaire
L’épidémie de COVID-19 ne fait que se développer et l’administration américaine a déjà fait l’objet de très nombreuses critiques - pour sa gestion désordonnée de la lutte contre la maladie, - qui l’ont discrédité à travers le monde. De nombreuses erreurs et maladresses ont, en effet, été commises et un temps précieux a été perdu. Le gouvernement n’a pas pris assez vite la mesure de cette crise systémique, sanitaire et urbaine.
Pour l’instant, les autorités sanitaires prévoient une recrudescence du nombre de foyers de covid-19 après les manifestations contre les dérives policières, dans la plupart des villes américaines. Les épidémiologistes ont exprimé leur inquiétude que les milliers de personnes qui manifestent en groupes compacts, toussant violemment lorsqu'elles entrent en contact avec les gaz lacrymogènes de la police, et projetant ainsi des aérosols souvent chargés de coronavirus, entraîneront une nouvelle recrudescence de la contagion et l’apparition de nouveau foyers d’infection.
Les dernières statistiques des dégats commis par Covid-19 aux USA indiquent plus 2 000 000 de cas confirmés, plus de 110 000 décès et près de 700 000 rétablis. Ces statitiques placent les USA au premier rang des pays infectés et dans l’épicentre de la pandémie mondiale de la maladie, à laquelle ils payent un lourd tribu. Mais la crise sanitaire ne se résume pas aux seules statistiques; elle révèle surtout un pays miné par les inégalités, une société à deux vitesses, hyper-inégalitaire, profondément ségréguée, où le rêve américain est devenu un cauchemar quotidien pour bon nombre d’américains en état d’apauvrissement continu. À New York, les 20% de la population les plus riches sont quatre fois moins touchés par le coronavirus que les 20% les plus pauvres et - Selon le Washington Post - dans le Wisconsin, 70% des victimes du coronavirus sont des afro-américains, alors qu’ils ne représentant que 26% de la population. Le constat est le même dans plus d’une vingtaine d’États. Le taux de chômage des afro-américains est ainsi passé en deux mois de 5,8% à 16,7%, celui des latinos-américains de 4,4% à 18,9%.
l’ancien chroniqueur du journal The Atlantic et ancien journaliste au New yorker décrit la situation dans son pays lors du déclanchement de la maladie Covid-19 comme suit:

« Quand le virus est arrivé ici, il a trouvé un pays dans un état déplorable. Une classe politique corrompue, une bureaucratie sclérosée, une économie atone, un peuple divisé et diverti à outrance, autant de maladies chroniques négligées pendant des années (…) Tel était le panorama américain : dans les villes prospères, une classe de cadres connectés, dépendant largement de travailleurs précaires et invisibles des métiers de service ; à la campagne, des communautés en décomposition en guerre contre le monde moderne ; sur les réseaux sociaux, une haine mutuelle et sans bornes entre ces deux camps ; dans l’économie, même avec le plein emploi, un fossé toujours plus grand entre le capital triomphant et le travail assiégé ; à Washington, un gouvernement vide conduit par un escroc et un parti en faillite intellectuelle ; partout dans le pays, un sentiment de fatigue et de cynisme, sans vision commune d’une identité ou d’un futur ».
La crise économique
La crise sanitaire a mis en lumière l’extrême précarité d’une large part de la population américaine. Le chômage a explosé, les mesures de restriction et de confinement ont entrainé la chute de la consommation suite à la fermeture des petits commerces. Les licenciements se sont multipliés, laissant de nombreux américains sans ressources. Les demandes d’aides ont triplé en quelques mois et les files d’attente devant les banques alimentaires se sont considérablement allongées.

La crise économique qui s’installe, sera pire que la crise de 2008 et probablement du niveau de celle de 1929, affirment les économistes. Ils attribuent cela à la grande désorganisation de la gestion de la crise sanitaire par l’AdministrationTrump qui aurait sacrifié les classes populaires et moyennes à l’appétit de la minorité des plus riches à laquelle il appartient.

La crise sociale

Cette crise couvait depuis des années - avec la montée des inégalités dans le pays – et a explosé il y a dix jours en manifestations de protestation contre les brutalités policières. La Réserve fédérale avait avancé - dans une étude publiée en 2019 - que la moitié de la population américaine ne peut pas faire face à des dépenses de santé d’urgence, 37 millions d’Américains étaient en situation d’insécurité alimentaire, le nombre de sans-abri avait dépassé les 500 000, et que 53 millions d’Américains sont considérés comme des travailleurs pauvres, gagnant moins de 10,22 $/h
En 1992, le rapport entre le salaire d’un simple employé et celui d’un cadre dirigeant était de 1 à 58; il est de 1 à 300 aujourd’hui, et le salaire minimum n’a presque pas bougé depuis les années 1970.

Depuis les années 1980 la part du revenu national gagnée par les 1% d’américains les plus riches est passée de 10% à 20%, alors que celle gagnée par les 50% ayant les plus bas revenus, passait de 20% à 12%. Dès 1986, le taux d’imposition des hauts revenus qui se situait autour de 90% est ramené à 28%. La réforme fiscale de Donald Trump, votée en 2017, poursuit cette tendance. « Elle va permettre en dix ans à 500 milliards de dollars d’atterrir dans les poches des 1% les plus riches. Objectif : dépouiller les biens publics au profit du privé » écrit George Packer. Les classes moyennes, autrefois moteur du rêve américain, se sont apauvries, écrasées sous le poids des coûts de la santé, du logement et de l’éducation; des secteurs livrés au capital et au libre marché.

Nous sommes, ce 05 juin 2020 au dixième jour de manifestations de protestation sur la mort de George Floyd, entre les mains de la police, à Minneapolis (Minnesota). De l’atlantique au pacifique et des frontières canadiennes aux frontières mexicaines, la contestation s’intensifie face à la menace d’intervention militaire, brandie par Trump. Les milliers de protestataires poursuivent leurs manifestations - à washington, New York, Chicago, Minneapolis, Los Angeles et dans la plupart des autres villes américaines - bravant le couvre-feu et infligeant un nouvel outrage à la dérive dictatoriale de Trump qui a appelé à l’aide, la police montée, la police militaire et la garde nationale et qui menace de déployer l’armée pour mater les manifestantations pacifiques auxquelles participent blancs et noirs américains, entremêlés.

Outre les foules immenses qui sont descendues dans la rue pour exprimer leur mécontentement, de nombreux hommes politiques, d’anciens responsables militaires, des députés et des sénateurs, des gouverneurs, des maires des grandes citées et d’autres personnes de renom, se sont exprimées sur les ondes ou sur les plateaux de télévisions pour désavouer le Président Trump sur sa gestion de la crise déclenchée par les brutalités policières et autres bavures ciblant plus particulièrement la communauté noire. Ce dernier plutôt que de calmer les foules ne fait que les menacer, en incitant les services de sécurité et les militaires à tirer sur la foule de leurs concitoyens.

Les manifestations se poursuivent malgré le couvre-feu, les arrestations se comptent par milliers, les bavures policières se multiplient au cours de ces arrestations. L'officier de police responsable de la mort de Floyd après avoir été accusé de meurtre au 3ème degrès, se voit maintenant accusé de meurtre au second degré. 6 policiers d’Atlanta sont accusés d’usage excessif de la force dans l’arrestation de 2 étudiants. On compte plusieurs bléssés parmi les manifestants et dans les rangs de la police mais on assiste aussi à des scènes de fraternisation entre manifestants et policiers.

Quatre gouverneurs d’Etats proches de Washington (NY, Virginia, Delaware et Pensylvania) refusent d’envoyer leur garde nationale en renfort pour protéger le président Trum en séance photo. L’archevèque de DC proteste contre l’utilisation par Trump, de l’église pour sa propagande électorale (sa séance photo sur le porche de l’église, une bible à la main). De son côté, le général Mathis s’en prend à Trump en ces termes: «Donald Trump est le premier président de mon vivant qui n'essaie pas d'unir le peuple américain. Il ne fait même pas semblant d'essayer. Au lieu de cela, il essaie de nous diviser.», accuse James Mattis - ancien général quatre étoiles des Marines - ex-secrétaire à la Défense, poste dont il a démissionné en 2018. Donald Trump s'était dit prêt, à déployer l'armée sur le territoire américain si les gouverneurs ne faisaient pas appel à la garde nationale pour dominer les rues jusqu'à ce que la violence soit étouffée.

Le général Mathis est sorti de sa réserve; il appuie les manifestants, prône un traitement équitable des Afro-Américains, dénonce l'utilisation de l'armée en territoire américain contre la population américaine et porte un jugement plus que négatif sur le président Trump quand il déclare sur le site de la revue,The Atlantic: “Les États-Unis sont maintenant témoins des conséquences de trois années de cet effort délibéré (de division, pour mieux régner) et de l'absence d'un leadership mature». Il plaide avec force pour l’unité sans Trump quand il écrit: “Nous pouvons nous unir sans lui, en nous appuyant sur les forces inhérentes à notre société civile». Devant les menaces de déploiement de l’armée, il déclare : «Les villes américaines ne sont pas un espace de combat que nos militaires en uniforme sont appelés à dominer»
Il se dit consterné par la dispersion des manifestants pacifiques, à coups de boucliers, de grenades lacrymogènes et de balles de caoutchouc, afin de permettre au président, lundi dernier, de traverser le parc aux abords de la Maison-Blanche après son allocution pour se faire photographier avec une bible à la main, devant l'église St. John's ; il écrit : «Je n'aurais jamais imaginé que des troupes prêtant serment [à la Constitution] recevraient, en quelque circonstance que ce soit, l'ordre de violer les droits constitutionnels de leurs concitoyens. Et encore moins de fournir au commandant en chef élu une séance de photo bizarre avec les dirigeants militaires à ses côtés.”
Mardi, l'amiral à la retraite Mike Mullen - un ancien chef d'État-major interarmées des États-Unis - avait publié une critique semblable et hier, 05 juin 2020, Barak Obama intervenait pour dire que l'heure est venue d'exiger des changements.

Dr. Khaled El Hicheri

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