De la médicalisation
de la biologie
Devant les proportions prises par la pandémie de covid-19, les autorités sanitaires de la plupart des pays contaminés ont fait appel à tous les professionnels de santé pour leur prêter main-forte dans la lutte contre la progression du virus. En réponse à cet appel, et dans le cadre du concept "One Health" ou “une seule santé”, les organismes statutaires et professionnels vétérinaires de ces pays ont appelé les vétérinaires retraités, étudiants et structures vétérinaires d'analyse et de biologie animale à s'engager aux côtés des médecins et soignants, dans la gestion de la crise sanitaire provoquée par le nouveau coronavirus. Cest ainsi que l'Académie vétérinaire de France a estimé que les laboratoires de biologie médicale vétérinaire pouvaient apporter une aide précieuse pour le dépistage du virus, suivie en cela par l'Academie française de médecine qui, dans un communiqué, a demandé d’autoriser ces laboratoires; preuve s’il en faut qu’ils sont en mesure de réaliser des actes d’analyse et de biologie “médicale”.
Rappelons à ce propos qu’en France, jusqu’à 2010 - et
l’ordonnance de réforme de la biologie médicale, ratifiée par la loi du 30 mai
2013 - les Médecins vétérinaires comme les médecins et pharmaciens, en
possession d’un Dipôme
d’Etudes Spécialisées (DES) de biologie médicale, pouvaient prétendre au
titre de “biologiste medical”. Cette loi qui spécifie que l’acte de biologie médicale est un acte médical, requérant
le statut de médecin ou de pharmacien biologiste, visait en fait à écarter les
médecins vétérinaires ayant suivi la
même formation post-universitaire de Biologie médicale qui leur confère le grade de biologiste
médical leur
permettant l'ouverture de laboratoires de biologie médicale. C’est au titre de cette médicalisation, supposée
renforcer le rôle médical du biologiste dans la prestation de soins au patient, que
les Médecins vétérinaires biologistes, qui jusqu’alors pouvaient exercer les
fonctions de biologistes médicaux, se sont vus retirer cette possibilité,
occultant le rôle primordial des médecins vétérinaires dans la prévention et la
lutte contre les maladies transmissibles de l'animal à l'Homme et faisant fi du
concept "One Health".
Pour appuyer les dispositions de cette loi et dans l’objectif “déclaré” de protéger les laboratoires de biologie médicale vétérinaire d'une concurrence "déloyale", de la part de laboratoires de biologie " médicale" qui avaient développé des départements de biologie animale, les conseils de l'ordre des médecins et des pharmaciens avaient invités ces laboratoires, à cesser la réalisation d’examens sur des échantillons prélevés sur des animaux.
En Tunisie, bien que les médecins vétérinaires ayant suivi cette spécialisation, remplissent les conditions requises pour diriger un laboratoire de biologie médicale, cette possibilité leur a été refusée depuis la parution de la loi de 2002 portant organisation des laboratoires de biologie médicale et le rejet par la faculté de pharmacie de tout demande d'inscription aux cours permettant l'obtention du DES, réservé depuis aux seuls pharmaciens qui en ont fait une spécialité pharmaceutique (?) et aux Médecins. Or, la dénomination de “biologie médicale” se réfère à la filière universitaire des sciences biomédicales ouverte à tous ceux ayant effectué des études médicales liées à la biologie, qui sont titulaires du DES et qui peuvent, en droit, prétendre à la direction d'un laboratoire de biologie médicale, du fait de la formation (médicale) de leur personnel et dirigeant et non de la profession à laquelle ils appartiennent. Il ne saurait, en effet, y avoir une biologie médicinale, une biologie pharmaceutique ou une biologie vétérinaire. Il y a une seule biologie médicale comme il y a une seule santé.
Comme tout le monde le
sait, une bonne part de notre législation s'inspire de la législation
française. Cela a été notamment le cas pour les textes relatifs aux laboratoires de biologie médicale. En
effet, la parution de la loi française du 30 mai 2013 avait réformé la biologie
médicale avec pour objectif de
médicaliser - dans le sens de monopolyser au profit des laboratoires de
biologie gérés par les seuls médecins ou pharmaciens - les examens biologiques
sur les échantillons prélevés sur des êtres humains, sous le motif d'éviter que
ces examens ne soient de simples prestations de service auxquelles peuvent
prétendre les laboratoires de biologie gérés par des médecins vétérinaires dont
plusieurs pratiquaient la biologie médicale avant la parution de cette réforme.
Nous avons fait mieux en Tunisie: les demandes d’autorisation d’ouverture d’un laboratoire de biologie “médicale” effectuées par des Médecins vétérinaires biologistes étaient systèmatiquement rejetées. C’est ainsi qu’un laboratoire dirigé par un vétérinaire n'a pas le droit de faire des tests sur des échantillons prélevés sur des humains, même s'il dispose d'une formation biologique médicale égale ou supérieure à celle d'un médecin ou d'un pharmacien biologiste.
L’interdiction faite aux médecins vétérinaires biologistes de pratiquer la biologie “médicale”, en Tunisie, n'est nullement justifiable quand on sait que près de 70% des maladies sont communes à l'homme et à l'animal, et que cette interdiction est absente dans plusieurs États membres de l'Union Européenne comme l'Allemagne, la Belgique ou l'Italie. Ces pays européens et bien d’autres ont écarté la monopolisation des activités d'analyse et de biologie médicale au profit d'une ou de plusieurs catégories professionnelles. Ils considèrent ces laboratoires comme des structures médicales dont les résultats des examens et analyses, contribuent à l'établissement du diagnostic par les praticiens et ne les classent pas par catégorie professionnelle; il suffit que ces établissements répondent aux normes d'installation, d'équipement et de techniques de laboratoire et soient dirigés par des biologistes ayant obtenus un DES en biologie médicale, sans référence spécifique à leurs études médicales de base.
Il s'agit là d'un monopole aberrant créé par la loi de 2002 qui écarte les médecins vétérinaires alors que, s'agissant d'un acte médical, il ne devrait, être effectué que par un médecin ou par un médecin vétérinaire (deux professions médicales s’il en est) en possession d’un DES leur permettant de réaliser de tels actes. Les médecins vétérinaires, déjà confrontés à des maladies animales extrêmement contagieuses, souvent transmissibles de l'animal à l'homme, pratiquant quotidiennement l'épidémiologie active, ont été sciemment écartés d'un domaine d'activité - la biologie médicale - que leur formation médicale et spécialisée les autorisait normalement à pratiquer.
En
outre, s'il apparaît nécessaire de réserver le titre de biologiste médical aux docteurs
en médecine, il n'est pas évident que ce titre, étendu aux pharmaciens
spécialisés en biologie médicale, puisse en faire des médecins et leur permette
de pratiquer des actes médicaux. Par ailleurs, si l’acte de biologie qui
constitue en soi un diagnostic, se médicalise en médecine humaine et en
médecine vétérinaire, il implique une continuité entre le clinicien et le
biologiste médecin ou vétérinaire mais nullement le biologiste pharmacien qui
ne peut se prévaloir d'une formation “médicale” de base supérieure à celles des
Médecins vétérinaires.
L'objectif de la Loi française de
2013, auquel a adhéré le légiste tunisien, était de renforcer le caractère
médical de l’acte de biologie et d’en confier l'exécution, en exclusivité, à
deux catégories professionnelles. Les
laboratoires de biologie médicale, se sont ainsi vus octroyer le monopole de la
réalisation des seuls examens de biologie humaine au nom de leur médicalisation.
Ce qui semble rendre justice aux biologistes “vétérinaires” n'est en fait
qu'une manoeuvre pour les écarter de la biologie médicale à laquelle ils
pouvaient prétendre du fait de leur formation médicale et de leur spécialisation
en biologie médicale au même titre que les médecins et les pharmaciens qui ont
obtenus les mêmes diplômes de spécialisation.
Rappelons aussi que l’analyse biologique
médicale animale fait partie intégrante de la chaine de diagnostic, de
contrôle, et de surveillance des maladies animales transmissibles à l'homme et
que, les médecins vétérinaires qui luttent
quotidiennement contre ces maladies sont des professionnels de la santé publique
voués en finalité à la protection de la santé de la population.
Signalons
également que la loi tunisienne n°54-2002 du 11 juin 2002 relative aux laboratoires d’analyses médicales,
spécifie en son article 6 que: “les
laboratoires d’analyses médicales peuvent pratiquer certaines analyses de
contrôle de la salubrité des produits destines à la consummation humaine ou
animale ainsi que certaines analyses de contrôle de l’hygiène publique et de
l’environnement selon des conditions qui sont fixées par décrêt”. Que reste-t-il aux médecins vétérinaires ?
Justice doit être rendue aux Médecins vétérinaires biologistes. La loi tunisienne de 2002 portant organisation des laboratoires de biologie médicale - une loi proposée par le conseil de l'ordre des pharmaciens, inspirée de l’ordonnance de réforme de la biologie médicale en France, appuyée par le puissant lobby des pharmaciens et adoptée par une Assemblée Nationale aux ordres - doit être abrogée et remplacée par une loi reconnaissant aux médecins vétérinaires le droit de pratiquer la biologie médicale au même titre que leurs collègues médecins. La loi de 2002 est une loi scélérate qui favorise le corporatisme professionnel et lèse les Médecins vétérinaires biologistes médicaux qui se retrouvent cantonnés aux seules analyses des prélèvements d’origine animale - un débouché extêmement limité pour des raisons économiques évidentes - alors que les laboratoires biologiques “médicaux” constituent un débouché en extension, prometteur pour toutes les professions médicales, sans exclusive.
Dr. Khaled El Hicheri
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