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De la gestion de la crise de Covid-19

De la gestion de la crise de Covid-19

Le dimanche 11 juillet 2021, le bulletin du ministère de la Santé Publique déclarait 144 décès par COVID-19 portant le total des décès à 16.388. Le même jour, il déclarait 6.592 nouveaux cas de contaminations, portant leur total, depuis mars 2020, à 497.613. Ce bulletin indiquait également que 4.463 patients atteints de COVID-19 sont actuellement pris en charge dans les hôpitaux publics et les cliniques privées, dont 636 en soins intensifs et 153 sous respiration artificielle. Il signalait 5.288 guérisons, portant leur total depuis mars 2020 à 393 305. La courbe continue de grimper.

La Présidence de la République annonçait de son côté, les dons effectués par les EAU, le Qatar (un hôpital de campagne de 200 lits complètement équipé, la Turquie (50.000 doses de vaccin, des appareils respiratoires, des concentrateurs d’oxygène et des fournitures médicales) l’Algérie (250.000 doses et du matériel médical), l’Egypte (des bouteilles d’oxygène et des équipements médicaux), l’Arabie Saoudite (un million de doses de vaccin), la France (promesse de 800.000 doses de vaccin). D’autres aides sont annoncées. Merci aux donateurs, autorités officielles et sociétés civiles, pour cet élan de solidarité qui les honore mais qui nous humilie.

Qu’avons-nous fait, en seulement dix ans, pour être tombés si bas, que nos « dirigeants » en soient arrivés à demander la charité aux pays frères et amis et à la communauté internationale ? Nous n’avons pas fait grand-chose pour limiter la contagion par les mesures de protection et par la vaccination ; nous avons trop tôt crié victoire et nous nous sommes empressés de défaire le peu que nous ayons bien fait, en ouvrant trop tôt nos frontières, il y a un déjà un an.

Beaucoup trop de faux-pas ont été commis alors que nous disposions d’un excellent potentiel de compétences scientifiques et professionnelles, en mesure d’affronter une pareille épidémie. Tous les épidémiologistes le savent : quand on doit lutter contre un virus pour lequel il n’existe pas de traitement, comme cela est le cas du coronavirus responsable de Covid-19, les seuls moyens sont la réduction de son espace vital par les mesures de protection (prophylaxie sanitaire) que toute la population connait maintenant, et la vaccination de masse (prophylaxie médicale) de la population cible. La rapidité de la réponse à l’agression constitue une action déterminante.

Il est vrai que l’agressivité de ce virus, sa contagiosité, sa virulence ont surpris la communauté scientifique mondiale qui s’est trouvée désemparée devant un ennemi aussi violent et encore mal connu. Les réponses à l’agression ont été diverses et variées, selon qu’il s’agissait d’initiatives de professionnels scientifiques ou de décideurs politiques et administratifs. Je voudrai rappeler au lecteur, à cette occasion, un épisode de la lutte contre une épizootie de Fièvre Aphteuse (FA) entreprise par les Services Vétérinaires de fin novembre1989 à début janvier 1990.

En 1989, la FA a été déclarée pour la première fois chez des ovins, sur des agneaux à la mamelle entrainant des mortalités importantes. La FA est la maladie la plus contagieuse des ruminants domestiques et sauvages ; elle est causée par un virus appartenant au genre Aphthovirus dont il existe sept sérotypes et une soixantaine de sous-type. Le sérotype O a infecté les troupeaux en pleine période d’agnelage et provoqué l’épizootie en question qui s’est soldée par la mort de 50.677 agneaux à la mamelle (sans symptômes cliniques ni lésions pathognomoniques) et de plusieurs centaines d’autres ruminants. La réaction rapide des Services Vétérinaire a mis fin à l’épizootie en moins de deux mois en vaccinant près de 7 millions de ruminants entre ovins, caprins, bovins et camélidés. Au total, 2.215 foyers avaient été enregistrés. Une diminution importante du nombre de foyers a été notée à partir du 28 décembre 1989 et le dernier foyer a été signalé le 8 janvier 1990.

Une organisation simple mais impeccable a permis d’obtenir ce résultat malgré une rupture des stocks de vaccin anti-aphteux auprès des laboratoires producteurs. La solidarité régionale et les relations personnelles ont alors joué : nous avions déjà une réserve de 300.000 doses et le directeur des Services Vétérinaires algériens, sollicité, nous a fait parvenir par « valise diplomatique » sa réserve de 350.000 doses de vaccins, de quoi amorcer la campagne nationale de vaccination d’urgence. Puis le directeur des SV italiens a fait en sorte que l’Etat italien nous fasse don sur ses réserves nationales, de 5 millions de doses ovines qu’un avion militaire tunisien est allé chercher à l’aéroport de Brescia. A son retour, des camionnettes frigorifiques l’attendaient sur le tarmac qui ont dans les heures qui suivent, réparti les cartons de vaccins dans les CRDA. Le lendemain, 400 équipes de vaccinateurs étaient à l’œuvre se déplaçant de ferme en ferme et de troupeau en troupeau. Entre-temps, les marchés aux bestiaux avaient été fermés pour une période de 15 jours, les foyers avaient été isolés et le transport d’animaux avait été interdits durant cette même période.

En moins d’une semaine, le dispositif de prévention et de lutte était en place et fonctionnait à plein régime. Le Directeur Général des Services Vétérinaires (DGSV) était le seul responsable de la conduite des opérations : il n’avait de compte à rendre qu’au ministre de l’Agriculture (feu Nouri Zorgati) auquel il faisait parvenir quotidiennement à 8h00 précise, un bulletin sanitaire de la situation épidémiologique.

Le DGSV a fait appel à toutes les compétences : enseignants tunisiens, encore jeunes à l’époque, enseignants français, expert des laboratoires Mérial. Devant les diagnostics cliniques contradictoires (le diagnostic de laboratoire auprès du laboratoire mondial de référence de Pirbright - UK tardant) et la pression des autorités administratives, le DGSV prit la décision d’entamer une campagne de vaccination d’urgence contre la FA, se basant sur la bibliographie qui indiquait qu’en 1952 une épizootie identique en tous points avait été signalée en Iran. Le risque était grand de voir le diagnostic de Pirbright contredire la décision du DGSV qui par précaution avait déjà préparé sa lettre de démission. Une semaine après, Pirbright confirmait le diagnostic de fièvre aphteuse. Une semaine cruciale avait été gagnée dans cette course entre le virus sauvage et le sérotype vaccinal.

La réaction rapide et efficace des Services Vétérinaires tunisiens avait été saluée par l’Office International de Epizooties (OIE) et la Food and Agriculture Organisation (FAO). Elle a permis de limiter les pertes d’agneaux, de stopper la progression de la maladie, de protéger notre cheptel et celui de nos frères algériens qui ont eu le temps de se préparer et ont vacciné la majorité de leurs troupeaux, et nos amis italiens d’une possible extension de l’épizootie au continent européen.

La santé étant « une » (One Health) pourquoi ce qui a si bien fonctionné contre la FA, n’a-t-il pas fonctionné contre Covid-19 et pourtant, le démarrage de la campagne de prévention et de lutte contre cette épidémie était un succès et la Tunisie était citée parmi les pays qui avaient le mieux géré la crise sanitaire. Les raisons sont nombreuses :

-        Un proverbe tunisien dit que « plusieurs capitaines à la barre font couler le navire ». Plusieurs commissions ont été créées pour différentes missions. La responsabilité était diluée ; tout le monde se croyait en droit de parler mais rares étaient ceux qui pouvaient agir.

-      La communication était confuse et provenait de plusieurs sources sans aucune coordination. Aux scientifiques se sont mêlés les politiciens et les « responsables » administratifs, chacun voulait parler de ce qu’il ignorait pourvu que l’on entende parler de lui et qu’il apparaisse sur les écrans de la TV. Les messages contradictoires s’entrechoquaient, amplifiés par des médias non spécialisés qui multipliaient interviews et tables rondes, ajoutant au désarroi de la population.

-  De nombreux meetings politiques drainant des milliers de personnes sans masques de protection, se sont tenus malgré les interdictions, donnant le signal de la désobéissance civique. Les consignes de protection ont été modérément suivies depuis.

-        Le ministère de la santé publique dispose d’un plan d’urgence en cas de crise sanitaire mais il semble qu’il ait été mal appliqué sur le terrain.

-   Les décisions de confinement et de couvre-feu se sont succédées avec des conditions différentes sur les horaires de couvre-feu et d’ouverture des cafés et restaurants, ajoutant à la confusion et contribuant au discrédit de la population vis-à-vis des décisions administratives.

-       Le système de santé n’a pas été mobilisé ; l’aide des autres professions médicales n’a pas été sollicitée, en tous cas pas celle des médecins vétérinaires, ni pour effectuer les tests ni pour effectuer les vaccinations.

Pensez-vous qu’il est plus facile de vacciner 7 millions d’animaux de différentes espèces, qu’il faut aller chercher par monts et par vaux, que de vacciner 7 millions de personnes qui viennent d’eux-mêmes aux centres de vaccinations ? Certainement pas, bien au contraire.

Pensez-vous qu’il y ait deux épidémiologies et deux biologies médicales, l’une médicale et l’autre médicale vétérinaire ? Non ; comme la santé (One Health) ces deux sciences ne peuvent être différenciées ou alors le concept « une seule santé » n’aurait plus de sens !

En période de crise et de catastrophe naturelle, on ne choisit pas ; on mobilise toutes les potentialités, toutes les compétences. On fait fi des barrières dressées entre les professions médicales. C’est ainsi que, en Europe, durant la pandémie, les autorités sanitaires ont fait appel à tous les laboratoires de biologie médicales y compris les laboratoires de biologie médicale « vétérinaires » pour effectuer les tests PCR et autres tests rapides et les médecins vétérinaires ont fait partie de toutes les commissions qui ont eu à gérer cette crise mondiale. Bien d’autres erreurs frisant l’aberration pourraient être citées, il y a de quoi écrire un livre sur le sujet.

 Dr. Khaled El Hicheri

Lire sur le même sujet les articles suivants, parus sur le Blog de MVI (medvetin.blogspot.com)

1.      1. Les leçons de la pandémie, publié le 03 juin 2021.

2.      2. De la médicalisation de la biologie, publié le 14 septembre 2020.

3.      3. Les Tests du Covid-19 : la nécessaire contribution des laboratoires de biologie vétérinaires, publié le 26 août 2020.

 

 

 

 

  

  

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