Ces
derniers jours, la question des viandes avariées a fait les gros titres de la
presse écrite et des écrans de télévision, et soulevé une vague d’indignation
sans précédent, frisant l’hystérie, dans les réseaux sociaux et dans la presse
numérique.
Ce
qui est pour le moins désolant, c’est l‘implication, dans ce scandale, de
médecins vétérinaires qui auraient fait preuve d’une complaisance coupable
envers des négociants en viandes. L’affaire a été portée devant la justice qui
instruit ce dossier et qui se prononcera sur le degré de culpabilité des
personnes impliquées.
La
profession, représentée par le Conseil National de l’Ordre des Médecins
Vétérinaires de Tunisie, mène de son côté son enquête, et pourrait traduire les
vétérinaires incriminés, si leur culpabilité était prouvée, devant le conseil
de discipline du conseil de l’Ordre et les sanctionner sévèrement.
Cette
grave affaire soulève la question de l’inspection des viandes et de la
salubrité des denrées alimentaires d’origine animale, d’une manière générale.
Ces denrées subissent en principe deux types de contrôle, l’un est un
autocontrôle, assuré par le producteur et le transformateur qui font appel à
des vétérinaires du secteur privé ; l’autre est un contrôle officiel,
assuré par les services vétérinaires du ministère de l’agriculture. Ces
professionnels de la sécurité alimentaire doivent être en mesure de certifier
la qualité des viandes reconnues bonnes à la consommation. Néanmoins, si les Services Vétérinaires du
Ministère de l’Agriculture sont le principal intervenant dans le contrôle de
salubrité de ces denrées, d’autres ministères prétendent à ce contrôle et y
sont aussi impliqués (Ministère de la Santé Publique, Ministère de l’Intérieur,
Ministère de l’Industrie, Ministère du Commerce et Ministère du Tourisme) mais les personnes chargées de ce contrôle ne sont pas tous vétérinaires et n’ont pas les compétences
de ces derniers. Autant dire que tous les ingrédients sont réunis pour que
surviennent des conflits de compétence qui se font généralement au détriment de
la santé du consommateur.
Si les textes, encore en
application, donnent pleins pouvoirs au vétérinaire en matière d’inspection
sanitaire des viandes dans les abattoirs, ils sont inapplicables dans la
majorité de ces abattoirs qui ne répondent pas aux normes minimales d’hygiène.
Par ailleurs, au moment où les pays développés optaient pour la concentration
des abattages pour un meilleur contrôle et supprimaient les petits abattoirs et
les tueries particulières, la Tunisie adoptait la position contraire
contrairement aux recommandations du plan directeur des abattoirs, multipliant
ainsi les points critiques et les possibilités de contamination.
Les viandes et les
produits carnés, sont extrêmement sensibles aux contaminations microbiennes et
peuvent ainsi véhiculer des pathogènes. La
surveillance de leur qualité hygiénique et de leur salubrité est impérative
mais les vétérinaires en charge de ces activités, où ils sont parfois obligés
d’effectuer des saisies, sont en proie à l’hostilité des bouchers et parfois de
l’administration municipale.
Les cas les plus flagrants
d’entraves aux activités des vétérinaires officiels, sont ceux qui concernent
leurs activités d’hygiène publique vétérinaire ou ils rencontrent souvent des
difficultés à protéger la santé du consommateur, face aux intérêts des
commerçants, bouchers notamment ; et il n’est pas rare que des viandes
saisies par les vétérinaires contrôleurs des abattoirs, se retrouvent sur le
marché. La gestion de la quasi-totalité des abattoirs communaux ayant été cédée
à des adjudicataires, majoritairement bouchers, ces cas sont de moins en moins
rares, faisant du vétérinaire un simple alibi à une prétendue inspection
sanitaire des viandes, dans des abattoirs dits « contrôlés ».
Les décideurs devraient se
préoccuper de cette situation dont les conséquences sur la salubrité des
viandes et donc sur la santé du consommateur sont dangereuses, et se mobiliser
pour dénoncer les aberrations des municipalités qui louent leurs abattoirs aux
professionnels de la viande, contre toute logique, compromettent tout contrôler
hygiénique et sanitaire.
Pour compléter le tableau
il convient d’attirer l’attention sur l’abattage dit « clandestin »
qui se pratique au vu et au su de tout le monde, sur le bord des routes les
plus fréquentées, où des bouchers improvisés égorgent, dépouillent, débitent et
vendent à qui mieux mieux sans que tous ceux qui aujourd’hui crient au
scandale, n’écrivent ou ne disent un mot pour dénoncer ces pratiques illégales,
dues au laxisme et au « laisser faire » des autorités.
De grâce, mesdames et messieurs des média, ne tirez pas
sur les vétérinaires avant de vous assurer de leurs conditions de travail et de
l’anarchie qui règne à toutes les étapes de la filière viande : des
éleveurs, aux maquignons qui achètent le bétail sur les lieux de production et
le revendent sur les marchés aux bestiaux, aux chevillards qui achètent le
bétail sur ces marchés pour l’abattre et le revendre aux bouchers, aux bouchers
qui achètent soit directement les animaux pour les abattre eux-mêmes soit
achètent les carcasses aux chevillards. Ajouter à
cela que beaucoup d’animaux sont abattus en dehors des abattoirs contrôlés, ce
qui augmente les risques pour la santé de la population et
prive la prophylaxie de certaines zoonoses, telles que la tuberculose et la
brucellose, d’un outil précieux de dépistage et de suivi.
Il serait utile de se pencher
sur le non-respect des normes de biosécurité les plus élémentaires, sur l’absence
d’hygiène dans les abattoirs et les boucheries, sur l’absence de formation de
bouchers découpeurs et sur l’absence de catégorisation des viandes et parfois
même d’affichage des prix, sur les mouvements
d’animaux liés au commerce du bétail, incontrôlés et incontrôlables (en
l’absence d’un système d’identification fiable) et qui constituent un facteur
de risque très important de dispersion des maladies contagieuses majeures.
N’oublions pas non plus de nous préoccuper de l’introduction illégale de
nombreux animaux en fraude de l’étranger et du danger qu’ils peuvent constituer
pour le cheptel national et pour la santé publique.
Sur tout le pays, on compte plus de 250 abattoirs et
tueries, une centaine de marchés hebdomadaires de bestiaux, et quatre marchés
nationaux ainsi que 10 000 boucheries agréés. Les marchés sont généralement
démunis de l’infrastructure de base telle que les quais de débarquement et
d’embarquement, les enclos, les couloirs de circulation, l’eau courante, Au
niveau des abattoirs, l’examen sanitaire de l’animal vivant n’est réalisé que
dans 20 % des cas car les abattoirs sont dépourvus de locaux de
stabulation ; d’ailleurs, la grande majorité des vétérinaires considèrent
que les conditions de déroulement de l’inspection des viandes dans les
abattoirs, sont mauvaises et ont, malheureusement, une conséquence directe sur
l’efficacité de l’inspection sanitaire.
D’autres défaillances doivent être signalées au niveau de la commercialisation
des viandes : l’absence de classement qualitatif des carcasses et de
catégorisation des viandes dans la plupart des boucheries, une découpe
rudimentaire qui pénalise les revenus les plus faibles, la rétrocession au prix
fort du cinquième quartier, la vente de la viande de vache de réforme au prix
de la viande de taurillon.
L’inspection et le contrôle ne font que limiter les dégâts en opérant des
saisies qui sont autant de pertes pour l’économie nationale. C’est tout le
système qu’il faut revoir et réhabiliter, de la législation à l’infrastructure,
à la commercialisation et à la transformation pour mettre le consommateur à
l’abri des fraudes, des contaminations et des toxi-infections.
Une alimentation saine est une exigence légitime de la
population et la préservation de la qualité des aliments constitue une
obligation légale que les vétérinaires hygiénistes sont appelés à faire
respecter par tous les moyens légaux et réglementaires à leur disposition. La
présence du vétérinaire à tous les maillons de la chaine alimentaire s’avère
indispensable.
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