De la pro-pharmacie
Voilà un mot que l’on a beaucoup utilisé
dans les textes législatifs et la littérature officielle et dont on a fini par
oublier le sens initial. Que signifie-t-il exactement ? A l’origine, la
pro-pharmacie désignait l’officine d’un médecin autorisé à délivrer des
médicaments en l’absence d’un pharmacien. C’est une activité utile,
essentielle, allant à l’évidence dans le sens de l’intérêt des patients et du
système de santé dans son ensemble. Cette activité existe toujours dans
certains pays européens dont la France et notamment la Suisse. Dan ce dernier
pays, il existe deux voies d’approvisionnement du médicament par la
population : La pharmacie ou le médecin traitant propharmacien.
En France, l'exercice de la pro-pharmacie
a été jugé très utile dans les zones géographiques peu accessibles et le Code
de la Santé Publique autorise les médecins, établis dans des communes
dépourvues d'officines pharmaceutiques, à avoir un dépôt de médicaments destinés
aux personnes auxquelles ils prodiguent leurs soins lorsque celles-ci sont
gravement malades, ont du mal à se déplacer où sont contraintes de garder le
lit. La remise des médicaments par le médecin leur évite le trajet vers une
pharmacie parfois très éloignée. Il est toutefois fait obligation au médecin
propharmacien de ne dispenser que les médicaments prescrits par lui au cours de
ses consultations. Le gouvernement français n’envisage pas de remettre en cause
le statut de la pro-pharmacie, malgré l’opposition des pharmaciens.
En Suisse, la pro-pharmacie s’exerce
partout et pas seulement dans les communes dépourvues d’officines
pharmaceutiques. Elle est perçue comme une partie intégrante de l’activité
médicale d’une bonne partie des médecins helvétiques et fait légalement partie
du système de santé du pays. Il n’y a pas de limitation territoriale et le
patient peut, à son gré, se ravitailler soit chez le pharmacien soit chez son
médecin traitant.
En Tunisie, la pro-pharmacie, exercée
par les médecins dans les zones dépourvues de pharmacien, a été pratiquée
jusqu’en 1973. Elle a été supprimée depuis par la loi 73-55 du 03 08 1973, même
dans les zones difficiles d’accès ou celles où il n’existe pas de pharmacies
dans un rayon de 15 km et ce, sous la pression du corps des pharmaciens qui
avançaient leur argument « on ne
peut être à la fois prescripteur et dispensateur, juge et partie » ce
qui ne les a pas empêchés, par la suite, de se comporter eux-mêmes en
prescripteurs, dispensateurs et fournisseurs. Par contre, le corps des
pharmaciens n’a rien trouvé à redire lorsque la Pharmacie Centrale de Tunisie
(PCT), pour rapprocher le médicament du patient dans les mêmes zones où le
médecin exerçait autrefois la pro-pharmacie, a ouvert des officines
pharmaceutiques tenues par de simples agents n’ayant aucune formation
pharmaceutique ou médicale, sinon leur appartenance au personnel de la PCT.
La qualité de propharmacien, telle que
définie pour la médecine humaine comme étant une autorisation à délivrer des
médicaments aux patients humains, en l’absence de pharmacie, n’a jamais été
accordée aux vétérinaires ni réclamée par eux, conscients qu’ils étaient que
leur formation en médecine, ne couvrait pas le champ de la médecine humaine.
L’équivoque a toutefois été maintenue par le corps des pharmaciens qui ont
imposé le concept de « propharmacien vétérinaire » qui n’existe nulle
part ailleurs et qui suppose que la pharmacie vétérinaire est de la seule
prérogative des pharmaciens et que les vétérinaires ne pouvaient l’exercer que
sur autorisation exceptionnelle et en l’absence de pharmacien, comme cela a été
le cas pour les médecins, occultant ainsi le droit des vétérinaires à
l’exercice de la pharmacie vétérinaire comme cela est le cas dans la plupart
des pays.
La qualité de propharmacien vétérinaire a
ainsi été officialisée par la loi 73-55 du 03 08 1973, portant suppression de
la pro-pharmacie pour les médecins et réglementant la vente des médicaments
pour les vétérinaires mais selon une liste réduite dite « liste d'urgence ».
L’application des clauses de l’article 33 de cette loi rencontra toutefois de
multiples difficultés. Par la suite, les pharmaciens du ministère de la Santé
Publique ont joué de toutes les possibilités administratives en leurs pouvoir
pour contrer les dispositions de cette loi. La rétention des autorisations d’exercice de la pro-pharmacie,
transmises par le Ministère de l’agriculture au Ministère de la Santé Publique,
a été pratiquée systématiquement par les services de la Direction de la
Pharmacie et des Médicaments du
ministère de la Santé Publique qui a imposé de fait, le passage obligatoire par
le pharmacien qui, outre la marge élevée qu’il était autorisé à prélever sur
les médicaments vétérinaires, n’était jamais bien approvisionné en ces produits
d’où des conséquences négatives sur la santé des animaux et sur le niveau et la
qualité de leurs productions.
La pro-pharmacie vétérinaire, faut-il le
rappeler, permet à un médecin vétérinaire prescripteur de délivrer des
médicaments vétérinaires à ses clients. Ce principe admis se heurte toujours
aux attitudes corporatistes du corps des pharmaciens qui se cantonnent dans
leurs réflexes conservatoires, au risque de compromettre la politique générale
de santé qui exige la cohésion de tous les professionnels du système de santé
publique dont les vétérinaires constituent un maillon extrêmement important.
En Tunisie, de nombreux arguments
plaident aussi bien pour l’instauration de la pharmacie vétérinaire qu’en
faveur du maintien et de l’extension de la pro-pharmacie vétérinaire. C’est une activité qui a un effet
très positif sur les coûts de santé animale car c’est le canal de
distribution des médicaments le plus économique, ce qui fait que les frais de
médicaments dans les clientèles où la pro-pharmacie est pratiquée, sont
nettement inférieurs aux coûts moyens enregistrés dans les clientèles
desservies par des officines. En outre, les éleveurs et autres propriétaires
d’animaux apprécient ce service qui leur évite, après la visite du vétérinaire,
de devoir se déplacer à la recherche d’une pharmacie bien pourvue en
médicaments vétérinaires.
Les
vétérinaires pratiquant la pro-pharmacie optent en effet le plus souvent pour
une gamme de médicaments qu’ils connaissent bien, qui sont adaptés à leurs
activités médicales et accessibles pour les cas d’urgence. Une fois leur
diagnostic posé, ces vétérinaires ne prescrivent pas plus que
nécessaire ; ils administrent ou remettent eux-mêmes les médicaments
dont l'éleveur aura besoin pour la poursuite du traitement. Ils ne délivrent
que le nombre de doses nécessaires et non des conditionnements multidoses, dont
une partie reste généralement inutilisée.
Les éleveurs ne peuvent pas se permettre,
dès qu'une bête est malade, de sacrifier une journée de travail et des frais de
déplacement conséquents, pour faire un saut à la pharmacie la plus proche qui est
toujours trop éloignée pour lui et qui n’est, le plus souvent, pas
approvisionnée en produits vétérinaires.
Cette
remise de médicaments en quantités adaptées au but thérapeutique recherché,
permet de limiter les coûts des soins, d’éviter les interactions dangereuses et les excès de
résidus médicamenteux et répond aux règles d'éthique médicale
vétérinaire car la formation des vétérinaires est adéquate pour assurer la
sécurité des animaux et de leurs productions, dans le cadre de la prescription
et de la remise des médicaments. Par ce biais du contrôle de la prescription,
de l’administration et de la fourniture des médicaments, les vétérinaires
garantissent la mise sur le marché d’animaux et de produits d’origine animale,
exempts de résidus.
Dr. Khaled El Hicheri
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