Cap Bon : la catastrophe n’a pas tardé
Dans mon article du 19
septembre dernier, intitulé « la pluie don du ciel ou calamité
naturelle » je terminais par la phrase « Allons-nous attendre une grande catastrophe pour qu’ils (nos
responsables) prennent conscience de leur responsabilité ? »
La catastrophe est arrivée très
rapidement : des pluies diluviennes se sont abattues sur le Cap Bon
emportant tout sur leur passage, détruisant routes et ponts, emportant les
véhicules en stationnement ou abandonnés par leurs conducteurs devant la
montées subite et rapide des eaux, les habitations, les commerces, les garages
et les entresols, les bâtiments industriels ainsi qu’un grand nombre de bâtiments
administratifs sont envahis par les eaux. Des morts et disparus sont à
déplorer. Des villes comme Nabeul, Beni khalled, Menzel bou zelfa, Korbous,
Soliman et à un moindre degrés, Korba, Menzel Témime et El Haouaria, sont
sinistrées. La montée des eaux a
atteint, en l’espace de trois heures, environ 300 mm, boostée par les lâchers
d’eau des barrages situés en amont. La campagne n’a pas été épargnée ; les
oueds gonflés par des crues subites ont débordés étalant leurs lits sur des
dizaines de mètres et ont emporté des personnes et un grand nombre d’animaux
surpris par les pluies torrentielles ; des bâtiments d’élevages de
volailles, nombreux dans le Cap Bon, ont subit des pertes considérables et des
bâtiments industriels ont été dévastés. Le bilan, en voie d’établissement, sera
très lourd.
Cette inondation nous a surpris par son extrême
violence, en un temps très court. Toutefois, nous n’en sommes pas à la première
inondation ; nous en avons expérimenté des dizaines sur les différentes
régions du pays depuis la nuit des temps ;
les plus récentes, ont été inventoriées depuis la seconde moitié du siècle
précédent, où nous avons enregistré, en quarante ans, de 1969 à 2009 pas moins
de 8 inondations, généralisées ou régionales, graves ou très graves. L’histoire récente nous enseigne que la fréquence des inondations
aurait augmenté, que les dégâts causés seraient devenus de plus en plus lourds
et que des pertes considérables sont infligées aux sols par les pertes
considérables de terres arables fertiles, emportées par les eaux pour être
déposées dans les villes, en aval des oueds et dans les barrages et autres
retenues d’eau accélérant leur colmatage ainsi que par l’accélération des
processus d'érosion hydrique et des phénomènes de ravinement.
Nous
pouvons donc nous targuer d’avoir de l’expérience en la matière. Mais qu’avons
fait de cette expérience ? Pas grand-chose au vu de ce qui s’est produit
dans le Cap Bon, dans ses villes et villages et dans ses campagnes.
Les dégâts sont très importants et se chiffrent
par centaines de millions de dinars. Aujourd’hui, le temps est revenu au beau
avec toutefois des menaces de précipitations. Les autorités administratives se
sont rendues sur les lieux pour évaluer les pertes et affirmer leur solidarité
avec les sinistrés. Les médias se sont précipités sur l’évènement à la
recherche de responsables, multipliant les tables rondes ; les techniciens
des services de la météorologie sont sur le gril et essayent de justifier
l’absence d’alerte précoce.
Qu’est-ce qui a provoqué pareil désastre et à
quel niveau se situent les responsabilités ? est-ce le changement
climatique, la pluviométrie extrême, les ouvrages d’endiguement et de retenue
des eaux (Barrages, lac collinaires, travaux de conservation des eaux et du sol
ou CES, digues de protection), la surélévation des lits des cours d’eau et des
oueds et l’absence de leur curage, la diminution du débit des cours d’eau et des
oueds en cas de pluviométrie normale, provoquant l’urbanisation anarchique des
zones inondables, l’extension des villes, le bétonnage et le goudronnage des
espaces urbains entrainant leur imperméabilisation, l’absence d’alerte précoce,
l’absence de plans de protection des villes, l’absence de plan de crise ou le
laxisme des administrations responsables ?
C’est l’enchainement de tous ces facteurs
réunis qui ont provoqué la catastrophe. Le changement climatique avec
l’alternance de périodes de sécheresses prolongées et de périodes de
précipitations importantes y est peut-être pour partie ; rien n’est moins
sûr, en l’absence de recul suffisant pour apprécier l’importance de impact du
changement climatique sur la fréquence et l’importance des précipitations. Ce
qui est par contre certain c’est que les pluviométries extrêmes sont de plus en
plus fréquentes et que nos villes et nos campagnes sont de plus en plus
vulnérables face aux changements hydrologiques générateurs d’inondations
brutales et dévastatrices.
Les villes bétonnées sont devenues plus
vulnérables ; elles sont les réceptacles des eaux des pluies torrentielles
déversées sur les versants des collines qui les surplombent et le bétonnage/goudronnage favorise un ruissellement
violent que les réseaux d’écoulements des eaux ne sont pas en mesure d’évacuer
rapidement. Les talus aménagés sur ces versants, suivant les courbes
de niveaux, par les travaux de CES durant les années 60 et 70 n’ont pas été
entretenus ni par les services de l’Etat pour ce qui est du domaine public, ni
par les propriétaires pour ce qui concerne le domaine privé. L’eau dévale les
collines sans retenue, prend du volume et de la vitesse et, sur sa course vers
les plaines, les sebkhas et la mer, emporte tous les obstacles dressés sur son
passage.
Ce qu’il faut rappeler, c’est que les travaux
hydrauliques de retenues d’eaux (barrages et lacs collinaires) n’ont pas été
conçus pour limiter les dangers d’inondation mais beaucoup plus pour assurer
des réserves d’eau pour les besoins de l’agriculture, de l’industrie, et de la consommation
domestique. D’ailleurs, lors de pluviométrie excessive et pour éviter que ces
ouvrages ne cèdent à la pression des eaux, des lâchers d’eau sont nécessaires et
viennent aggraver les situations d’inondation. En outre, les digues qui
retiennent les eaux et évitent les inondations, facilitent les constructions
anarchiques et illégale sur les terrains auparavant inondables et si par
malheur ces digues cèdent, la catastrophe est assurée avec son cortège de morts
et de dégâts matériels.
Selon les prévisions des experts, la
pluviométrie va diminuer mais les situations de crise avec des précipitations
extrêmes vont augmenter, provoquant des inondations plus fréquentes et plus
importantes. Il est donc temps de se mettre à l’ouvrage pour concevoir des
plans de lutte contre l’érosion hydrique, pour retenir les plus grandes
quantités d’eau pour assurer la couverture de nos besoins et recharger les
nappes phréatiques et enfin pour protéger nos villes contre les inondations.
Nous sommes fiers de notre infrastructure hydraulique qui nous permet d’éviter
les pénuries d’eau durant les pires des périodes de sécheresse que notre pays a
connu. Mais nous sommes encore loin des normes de consommation moyenne per
capita. La tâche n’est pas facile ; il s’agit là de travaux
d’infrastructure qui prennent du temps et qui nécessitent des moyens
considérables mais qui sont indispensables pour réduire les risques et
développer et protéger nos ressources en eau et notre patrimoine SOL.
L’arsenal juridique qui encadre l’urbanisation
doit être amélioré et les lois et autres textes juridiques doivent être
appliqués avec une rigueur dissuasive. Les conseils municipeaux qui seraient
incapables d’appliquer la loi et de lutter contre la corruption qui permet les
constructions illégales sur le domaine public doivent être dissoutes et les
municipalités placées sous une juridiction plus réactive. Les agents de la STEG
et de la SONEDE qui raccordent ces constructions aux réseaux contre bakchiche,
doivent être punis administrativement et déchargés de leurs fonctions. « Laisser
faire et le laisser aller » sont devenus de fait la devise de la
« révolution ». Cela doit changer et ceux qui se remplissent allègrement
les poches sur le dos de leurs concitoyens et qui occupent des postes
administratifs, du plus haut au plus bas échelon, doivent être pourchassés sans
pitié et mis au ban de la société.
Dr. Khaled El Hicheri
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