Notre langue : En
sommes-nous fier ? *
La WSAVA (World Small Animals Veterinary Association –
Association Mondiale des Vétérinaire pour Petits Animaux) vient d’ajouter la
langue arabe pour la publication de sa « newsletter » à l’occasion du
60ème anniversaire de sa fondation. C’est une première car la
plupart des organisations internationales non gouvernementales se limitent à
l’anglais avec parfois des traductions en espagnol ou en français. Cette
excellente nouvelle est le résultat des efforts de l’Union Générale des
Médecins Vétérinaires de Tunisie (UGMVT) qui vient récemment d’adhérer à la
WSAVA et qui a pris à sa charge la traduction en arabe des newsletters de cette
association mondiale.
C’est l’occasion de nous pencher sur la pratique de notre
langue en Tunisie et sur le sort qui lui a été fait durant des décennies dans
l’enseignement, dans l’administration et dans le langage de tous les jours
La langue arabe et l’islam constituent la base de notre
identité nationale ; ils figurent en tête de notre constitution
or plus de soixante ans après notre indépendance, notre administration
continue à utiliser (même partiellement) la langue du colonisateur ; notre
système d’enseignement a oscillé durant des décennies entre arabisation et
francisation. Il n’a toujours pas trouvé l’équilibre nécessaire entre la langue
nationale et la langue française.
Le résultat est peu reluisant.
L’enseignement de la langue arabe semble être déficient puisqu’il est incapable
d’intéresser nos élèves, collégiens et lycéens qui après 9 ans d’enseignement
de base sont incapables de s’exprimer correctement dans leur langue.
L’enseignement de la langue française est encore plus déficient et comme à ce
jour, la majeure partie de notre enseignement supérieur se fait en français,
bon nombre d’étudiants comprennent mal les cours qui leurs sont dispensés et se
réfugient dans le « parcoeurisme ».
Comme l’enseignement du français
occupe une bonne place dans les programmes de l’enseignement secondaire et
supérieur, les tunisiens se considèrent comme bilingue alors qu’ils ne
sont en fait que des bi-bègues comme le soulignait Hichem Jaït il y a déjà plus
d’un quart de siècle dans un de ses articles paru sur le périodique
« Jeune Afrique ». Ils hésitent et béguaient dans les deux langues
finissant par en faire une mixture du plus mauvais effet.
Si les plus anciens qui ont fréquenté
l’école franco-arabe dans le primaire puis la section dite
« tunisienne » dans les lycées et collèges maitrisent les deux
langues, souvent à la perfection, nos jeunes ne savent s’exprimer correctement
ni dans leur langue maternelle ni dans la langue française. Ceux d’entre eux
qui apparaissent à la TV dans le cadre d’interview ou de tables rondes ont
souvent des difficultés à faire connaitre leur point de vue en arabe et
recourent souvent au français. Même les sportifs interviewés abusent de mots et
d’expressions françaises.
L’environnement nous rappelle encore
la prédominance de la langue française sur la langue nationale ; les
enseignes des commerces et les affiches publicitaires sont truffées de français
et parfois d’anglais. Une chaine de radio va même jusqu'à officialiser l’usage
du « sabir françarabe » sous prétexte que c’est ainsi que s’expriment
nos compatriotes et de plus en plus de parents inscrivent leurs enfants dans
les écoles des missions étrangères ou dans des écoles privées privilégiant
l’apprentissage des langues étrangères au dépend de la langue du pays.
Ce constat devrait nous interroger ; sommes-nous si
peu fier de notre langue qui plus est, la langue du coran que des centaines de
millions de musulmans non arabophones, essayent d’apprendre et de notre culture
qui a rayonné sur le monde durant des siècles pour lui préférer une langue
étrangère qui ne sera jamais la nôtre ou, pis encore, un « sabir
françarabe » ou tout simplement ce qui pourrait s’appeler le
« charabia » ?
Le colonisateur nous a-t-il
dépersonnalisé à ce point que plus de soixante ans après son départ, nous
continuons à l’imiter et à vouloir lui ressembler ? Le colonialisme
intellectuel et culturel a-t-il remplacé le colonialisme primaire ? et si
c’est le cas quand allons-nous nous en libérer ? Notre langue, si belle et
si riche, est-elle si difficile à maitriser que l’on aille jusqu'à lui préférer
une langue étrangère ? La formation de nos enseignants serait-elle à
l’origine de ce manque d’intérêt ? Allons-nous continuer à assurer notre
enseignement supérieur en français au détriment du niveau de connaissance de
nos étudiants ? Allons-nous continuer à alimenter le discours insinuant
que la langue arabe ne peut véhiculer les sciences ? alors qu’elle a été
pendant des siècles, le vecteur des connaissances scientifiques et
philosophiques !
Comment expliquer alors que la Syrie
dont l’enseignement est totalement arabisé depuis des décennies continue à
former des scientifiques de haut niveau dans tous les domaines ? comment
expliquer également que des pays comme la Finlande, Hongrie, Roumanie, Israël,
dont les langues sont parlées par quelques millions de personnes, prodiguent
leur enseignement dans leur langue nationale ?
Est-ce la volonté politique qui manque
ou le laxisme qui prédomine à tous les niveaux de notre administration et de
nos institutions ? Il est encore temps pour affirmer cette volonté de
restaurer notre langue nationale et de traduire cette volonté dans le cadre
d’un plan décennal qui viserait à éradiquer totalement le français de
l’administration publique et du secteur privé dans le cadre de ses relations
avec l’administration et le public tunisiens. Un plan décennal qui viserait à
arabiser totalement l’enseignement de base et enseigner le français comme une
langue étrangère obligatoire ; arabiser progressivement l’enseignement
supérieur, notamment celui des sciences, recycler les enseignants et plus
particulièrement ceux de l’enseignement supérieur dans la langue arabe.
Il est temps de réviser les manuels
d’enseignement de l’arabe en vue d’une meilleure approche grammaticale et
pédagogique dès les premières années de l’enseignement primaire, de donner
consigne aux médias s’exprimant en arabe de bannir toute pollution de la langue
par des mots et expressions qui lui sont étrangers, d’imposer aux
établissements privés d’enseignement et aux missions étrangères d’enseignement,
un nombre d’heures d’enseignement de l’arabe assez important pour que les
élèves maitrisent parfaitement la langue arabe, de recommander aux chaines de
TV de programmer des émissions spécialisées dans l’enseignement de la langue
arabe au grand public afin que le dialecte tunisien se rapproche de plus en
plus de la langue arabe moderne.
Bien d’autres mesures pourraient être
prise notamment en matière de panneaux publicitaires ou de panneaux indicateurs
et autres secteurs de la vie quotidienne pour redonner à notre langue le lustre
d’antan et pour conforter notre identité.
Dr. Khaled El Hicheri
*Extrait partiellement du livre sur "la médecine vétérinaire en Tunisie" de l'auteur
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