Epidémiologie de la rage canine.
En Tunisie, la rage sévit sous forme enzootique
et endémique ; sa situation épidémiologique est instable malgré les campagnes
de vaccination de masse des chiens, annuelles, obligatoires et gratuites, dans
le cadre du programme national de lutte contre la rage (PNLR). Bien que ces
campagnes touchent une moyenne de 420.000 chiens/an, la rage continue à
tuer : les cas de rage animale sont de l’ordre de 200 cas/an, dont 60% de
chiens et 20% de bovins. Les cas de rage humaine sont en moyenne de 3/an,
principalement des enfants, avec une pointe en 2013 et 2015 où 6 mortalités ont
été observées. Les traitements en post-exposition (PPE) sont constants et
touchent environ 38.000 personnes annuellement ; leurs résultats sont
majoritairement positifs sauf en cas de prise en charge tardive de la personne
mordue ou d’interruption du traitement avant la fin du protocole. Rappelons
qu’en l’absence du traitement post-exposition et une fois déclarée, la rage
évolue vers une mort certaine. On observe toutefois des périodes de rémission
ou aucun cas de rage humaine n’a été enregistré mais chaque fois que le PNLR,
n’atteint pas ses objectifs de couverture vaccinale, une remontée spectaculaire
de l'incidence de la rage animale et humaine est observée.
La rage en Tunisie est plus urbaine que
rurale et la lutte contre cette zoonose mobilise des ressources humaines et
financières importantes. La lutte contre
cette maladie est régie par le décret n°84-1225 du16 octobre 1984, fixant la
nomenclature des maladies légalement réputées contagieuses et par l’arrêté des
Ministres de l’Agriculture, de l’Intérieur et de la Santé Publique du 13 avril
1985, fixant les mesures à prendre pour lutter contre la rage.
Avant la mise en place du PNLR en 1982, la
vaccination des carnivores domestiques contre la rage n’était ni obligatoire ni
gratuite ni généralisée. Le nombre de cas de rage animale enregistré était de
265, dont 85% de chiens. La mise en place du PNLR a été justifiée par le grand nombre
de cas humains (16 personnes/an en moyenne avec un pic de 38 décès enregistrés
en 1973) et par le faible nombre de centres de traitement antirabique qui n’existaient
qu’aux sièges des gouvernorats. Ce nombre a augmenté progressivement, atteignant
363 centres, permettant de traiter près de 38.000 personnes/an, en Prophylaxie
Post-exposition (PPE).
Le PNLR repose principalement sur une
campagne annuelle de vaccination parentérale, en dose unique, des chiens de
plus de trois mois. En cas d’apparition d’un foyer, les animaux contaminés ou
suspects sont abattus et les animaux dans et autour du foyer sont vaccinés. De
1982 à 1987, après l’instauration du PNLR, une nette diminution des cas de rage
animale (60 cas/an dont 70% de chiens) a été enregistrée mais de 1988 à 1990, le
PNLR a accusé un fléchissement entrainant l’augmentation du nombre de cas de
rage humaine et animale.
Ecologie
des populations canines
Le
PNLR a été conçu sur la base d’études sur la biologie et l’écologie des
populations canines réalisées en 1987. Ces études ont permis de définir les paramètres
caractérisant ces populations canines dans les zones rurales, semi-urbaines et
urbaines. En zone rurale, plus de 80 %
des ménages possèdent au moins un chien, la densité est de 7 à 30 chiens par
km². En zone urbaine la densité est de l’ordre de 1 chien pour 16 habitants et en
zone semi urbaine elle est de 1 chien pour 46 habitants, révélant des densités beaucoup
plus faibles qu’en milieu rural avec moins de 10% à 20% des ménages possédant
un chien. Le paramètre de l’âge est aussi important que celui de la densité ;
la moyenne d’âge des chiens à propriétaire se situe entre 2 et 3 ans. Seuls 12%
des chiens sont âgés de plus de 5 ans alors que 21% à 37% des chiens sont âgés
de moins de 1 an.
Le sexratio est de 1,90 en faveur des mâles
alors qu’à la naissance, il est égal à 1. Cette différence est artificielle provoquée
par l’élimination des femelles après la mise-bas. Le taux de renouvellement des
chiens à propriétaire était de 23% en zone rurale, 30 % en zone semi urbaine et
40% en zone urbaine. Au bout de deux ans, plus de la moitié de la population
est renouvelée. Par ailleurs, l’étude des domaines vitaux, réalisée dans une
zone semi-urbaine, a permis de définir une superficie s’étendant de 0.06 Km² à
8.53 Km² par chien.
Suivi
des campagnes de vaccination des chiens
Le
suivi des campagnes de vaccination de masse des chiens en 1987, ont révélé un taux
de couverture vaccinale global de 78%, variant de 87 à 91% dans les agglomérations,
et de 65% à 72% dans les zones rurales. Par ailleurs, les études effectuées en
1992 ont révélé un taux d’accessibilité des chiens à la vaccination parentérale
en milieu rural, de 86% des chiens à propriétaire âgés de plus de 3 mois. Ce
taux s’élève à 91% en milieu semi-urbain et à 89% en milieu urbain. Rapportés à
la population canine totale, ces taux ont été de 66% en zone rurale, 71% en
zone semi-urbaine et 67% en zone urbaine.
En 1998, le suivi des campagnes de
vaccination antirabique sur le terrain, a mis en évidence des taux de
vaccination faibles (51%) attribuables, en partie, au nombre de chiens sans
propriétaires mais essentiellement à l’inaccessibilité à certains chiens à
propriétaire ou bien à leur absence ou à l’absence du propriétaire, au moment du
passage des vaccinateurs.
Surveillance épidémiologique
Le programme de vaccination de masse pour
être un processus durable de prévention de la rage, doit être poursuivi
indéfiniment et être épaulé par un
réseau de surveillance épidémiologique permettant d’assurer le suivi permanent
de cette redoutable zoonose en :
·
Menant
des enquêtes épidémiologiques dans chaque foyer déclaré, des enquêtes
d’efficacité vaccinale (taux de couverture vaccinale, niveau et durée de
l’immunité conférée par le vaccin utilisé), des enquêtes éco-pathologiques sur
la population canine et en proposant des solutions alternatives pour le
contrôle de la population canine inaccessible à la vaccination de masse.
·
Fournissant
aux services vétérinaires les éléments épidémiologiques nécessaires à une
intervention d’urgence et en déterminant la répartition géographique des cas
pour identifier les zones ou la prévalence de la maladie est la plus élevée
afin d’adapter le programme de lutte aux réalités épidémiologiques du terrain.
·
Améliorant
le niveau de détection et de déclaration des suspicions des cas de rage par la
sensibilisation des éleveurs et des médecins vétérinaires sur le terrain.
Cette
surveillance épidémiologique doit être concrétisée par la mise en place et
l’activation d’un réseau de surveillance en mesure de réaliser
des enquêtes épidémiologiques, de rechercher les facteurs de risque, d’effectuer
les prélèvements pour le diagnostic de laboratoire et pour la détermination du
niveau de couverture immunitaire, informer les vétérinaires officiels et privés
de la zone, de la confirmation des cas de maladie.
Le
profil antigénique des souches isolées en de 1981 à 1986, à partir de
prélèvements sur des personnes décédées et sur des chiens, chats, bovins,
équins, a montré leur appartenance au génotype 1. Ces résultats ont été
confirmés par une étude épidémiologique moléculaire sur des prélèvements effectués
sur des chiens, de 1992 à 2003, qui a également révélé l’existence de 2
variants, l’un localisé au Nord-Ouest, l’autre au Nord-est et au centre-sud du
pays.
Dès la
mise en place du PNLR, les mortalités humaines ont diminué mais l’objectif d’éradication
de la maladie animale est loin d’être atteint. Ce programme est perfectible :
la surveillance épidémiologique de la rage doit être renforcée en impliquant, plus encore, les vétérinaires de
libre-pratique dans la collecte des données épidémiologiques permettant d’identifier
les facteurs de risque qui contribuent à la persistance et à la propagation de
la maladie.
Afin
de mieux évaluer la couverture vaccinale et la couverture immunitaire, assurée
par le PNLR et de mieux programmer les campagnes de vaccination dans le temps
et dans l’espace, les paramètres biologiques et écologiques, adoptés pour le
calcul des populations canines, basées sur des études réalisés en 1986, doivent
être révisés et actualisés.
Dr. Khaled El Hicheri
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