C0VID-19 et sécurité alimentaire
Selon le Comité de la Sécurité alimentaire mondiale « La
sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment,
la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture
suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et
préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ». On retrouve
dans cette définition, les dimensions de disponibilité, accessibilité,
quantité, qualité et salubrité. Une alimentation saine en quantité suffisante est,
en effet, une exigence légitime de la population et la couverture des
besoins nutritionnels, constitue une priorité absolue.
La
mondialisation a déclenché une prise de conscience globale des dangers et des
risques que courent les populations et les économies des pays, quel que soit leur
éloignement des foyers initiaux des maladies, et de l’intérêt d’y faire face en
groupe d’intérêt commun, indispensables pour lutter ensemble contre la pauvreté
et la malnutrition et contribuer efficacement à la sécurité alimentaire. Cette
globalisation est justifiée par la multiplication des maladies transfrontalières,
l’émergence de nombreuses nouvelles maladies et le déclenchement de pandémies,
favorisées par le développement du commerce international et les déplacements
de personnes provoqués par les conflits, les catastrophes naturelles et autres
crises politiques, économiques et sociales.
La crise sanitaire actuelle - qui a déjà frappé
plus de 88 millions de personnes et causé, à ce jour dans le monde, la mort de
près de 2 millions de personnes dont 152.000 cas et 5.052 décès, en Tunisie - n’est
pas d’origine alimentaire, mais ses effets sur les stocks mondiaux d’aliments
de base, comme le riz et le blé, sont importants. Selon les données les plus
récentes, le ratio mondial stock-utilisation pour ces denrées essentielles – ratio
qui permet de d’évaluer la vulnérabilité des marchés alimentaires - est bien
meilleur qu’à la veille de la crise de 2007-2008. Et,
si l’on en croit les spécialistes de la sécurité alimentaire, les négociants
sur le marché international et les importateurs, nous ne sommes pas à la veille
d’une crise alimentaire. En théorie, il n’y a aucune raison de craindre une
crise alimentaire comme celle qui avait bouleversé les marchés mondiaux lors de
la crise de 2007-2008, à tel point que la flambée des prix de certaines denrées
alimentaires essentielles, telles le blé et le riz, avait déclenché des émeutes
dans certains pays.
La pandémie de Covid-19 a touché tous les pays
de la planète Terre et provoqué une crise mondiale impressionnante par la
prévalence de la maladie, inconnue à ce jour et une incidence d’une amplitude
jamais constatée par son impact négatif sur la santé des personnes, sur l’organisation
de la société et sur l’économie, menaçant la sécurité alimentaire de nombreux
pays. On a le sentiment qu'il s'agit d'une crise mondiale aux multiples
facettes, et la résilience des pays dépendra de la façon dont ils s'adapteront et
maintiendront la fluidité des échanges pour assurer leur sécurité alimentaire.
Toutefois, si l’histoire devait se répéter, si
les grandes puissances céréalières en arrivaient à réduire ou à bloquer leurs
exportations pour garantir des réserves et des prix abordables à leurs
populations, elles risqueraient de provoquer une pénurie chez les pays
importateurs les plus fragiles. Les
responsables des approvisionnements de ces pays se démènent pour tenter de constituer
des stocks et répondre à la demande des distributeurs dont les rayons sont dévalisés
par des consommateurs pris de panique à chaque annonce d’augmentation du nombre
de cas de covid-19. La demande, concentrée sur une plus courte période, s’envole
et les quantités vendues par les commerçants en un mois partent en deux fois
moins de temps car les familles constituent des réserves de farine, de semoule
et de riz ainsi que d’autre produits alimentaires essentiels.
La constitution de stocks partout dans le monde,
en raison de la pandémie de Covid-19, provoque une hausse des cours sur le marché
international et fait remonter du même coup la sécurité alimentaire au premier
degré des priorités, aussi bien pour les pays exportateurs de denrées
alimentaires que pour ceux qui ont grandement besoin d’en importer.
Les
productions animales (viandes, lait et produits laitiers, œufs et autres)
contribuent grandement à la sécurité alimentaire et à l’équilibre nutritionnel
de la population. Malheureusement nos besoins en viandes sont
couverts à plus de 55%, par les viandes blanches, entrainant une dépendance de
plus en plus grande du marché international et les apports de viandes rouges
sont insuffisants par faiblesse d’une production bouchère nationale. L’alimentation
du cheptel repose plus sur les ressources extérieures que sur les ressources
nationales. Le recours à l’importation est la règle. Notre sécurité alimentaire
dépend encore des fluctuations du marché international en attendant que notre
production nationale prenne la relève.
Les matières premières pour la
fabrication des aliments composés sont importées massivement.
L’effet covid-19 entraine un ralentissement de la
chaine logistique ; c’est ainsi que l’Égypte,
premier acheteur mondial de céréales, a augmenté ses stocks de produits stratégiques
de base. Aux Philippines, dont le Vietnam est le premier fournisseur de riz, des
réserves stratégiques importantes ont été constituées. L’Algérie
et le Maroc ont augmenté leurs stocks de céréales, alors que de gros
producteurs, dont la Russie, numéro un mondial du blé, et le Vietnam, troisième
exportateur mondial de riz, restreignaient les exportations. Les gros
importateurs sont aussi préoccupés par le ralentissement de la chaîne
logistique.
Outre la crise sanitaire, la pandémie de
Covid-19 a mis en lumière la fragilité de notre système économique et social.
Depuis les années 2000, l’industrie agroalimentaire a privilégié la stratégie de
limiter au plus juste les quantités de produits dans les entrepôts qu’ils
acheminent le plus rapidement possible pour réduire les immobilisations et
améliorer les marges bénéficiaires. Ce dispositif a été mis à mal, en 2020, lorsque
les consommateurs, craignant une pénurie, se sont rués dans les magasins. Depuis,
les producteurs et les supermarchés ont limité leurs stocks à 4 à 6 semaines. Mais,
ces stocks ont été écoulés en quelques jours non seulement pour les produits
essentiels mais aussi pour de nombreux autres produits.
Cette ruée a révélé l’inconvénient de la méthode
adoptée par l’industrie agroalimentaire, qui préfère limiter ses stocks dans
les entrepôts et faire circuler des camions moins nombreux mais plus remplis
afin d’améliorer ses marges. Les grands groupes réduisent les étapes des circuits
de livraison. Les camions de livraison se rendent directement aux entrepôts des
supermarchés au lieu de faire d’abord transiter ces produits par les entrepôts
des grossistes. Les détaillants, de leur côté,
s’affranchissent des algorithmes complexes qui leur permettent habituellement
de déterminer quelle quantité de quels produits ils doivent acheter. Producteurs, distributeurs et
détaillants ont été obligés de s’adapter ; ils fabriquent désormais, plus
de nourriture.
Dr. Khaled El Hicheri
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