Un crime de guerre impuni
Si Hamadi Ben Youssef nous
a quitté un 22 avril, il y a 3 ans.
Il est né en 1924, issu
d’une famille de propriétaires terriens et notables de Béja. A la mort de leur
père, lui, ses trois sœurs et son jeune frère affronteront de difficiles destinées
; Il avait 5 ans. S’en suivra la crise économique de 1929 et ses prolongements
dans les années 30 qui entameront sérieusement le patrimoine familial.
Le 11 mars 43, un jour
pluvieux et funeste, un groupe de soldats britanniques encercla Henchir Safsafa
à Béja nord, et en guise de représailles exemplaires, exécuta les hommes
présents, Si Abdelkrim Ben Youssef, grand notable, son beau-frère et tuteur,
son frère Noureddine, à peine 17 ans, les frères Mnaouar et Tahar Ben Youssef,
et six de leurs collaborateurs.
Il n’y a pas eu de justice.
Un crime de guerre encore impuni. Un horrible coup du sort.
Il quitta alors le lycée
Carnot de Tunis, l’année même de son baccalauréat pour prendre en charge sa
famille élargie et devenir agriculteur à 19 ans, dans la douleur, malgré
lui.
En 48, Si Hamadi épousa sa
cousine Frida Ben Youssef et ils eurent cinq enfants.
Avec l’indépendance du
pays, il partagea l’enthousiasme de ses concitoyens et sera pendant quelques
temps élu au Conseil municipal de Béja. Mais bien vite, la main mise rapide des
rouages de l’Etat et de la société par le régime autocratique et répressif de
Bourguiba étouffera les bonnes volontés participatives populaires.
Le début des années 60 fut
marqué par la collectivisation forcée de l’ère Ben Salah qui portera un coup
très dur à l’agriculture tunisienne. A cette même époque, il quitta Béja avec
sa famille partageant le modèle sociétal « l’éducation d’abord, c’est l’avenir
des nos enfants ». C’est déjà aussi l’amorce du mouvement d’exode rural qui ira
toujours en s’amplifiant.
Avec L’échec de la
politique collectiviste, le régime prendra une orientation libérale, favorisant
les secteurs industriels et tertiaires et les régions côtières au détriment du
secteur agricole et des régions intérieures, conservant son caractère répressif
notamment envers la jeunesse estudiantines et les mouvements progressistes de
gauche,, dont le Groupe Perspectives-.El Aamel Ettuounsi. Concernées par la
vague de procès politiques de 1975, toutes les familles de détenus, La Frida et
Si Hamadi, apporteront un soutien substantiel moral, affectif, mais aussi
activiste.
L’ère Ben Ali, ère de la
mondialisation, se traduit par le désengagent de l’Etat et un modèle de
capitalisme sauvage et extraverti qui repose sur le « business » au détriment
du secteur productif national. Un système qui modifiera profondément les
structures sociales et désarticulera davantage le secteur agricole avec une
dynamique amplifiée par les effets pervers du changement climatique et les
sécheresses chroniques. Un épuisant parcours de combattants pour les
agriculteurs, toujours d’actualité. Un système que les soulèvements populaires
de 2010 ne parviendront pas encore à modifier ; loin de là.
C’est dans ce contexte que
Si Hamadi Ben Youssef parcouru sa vie avec un sens très aigu de la probité, du
respect des choix des autres, de l’égalité filles-garçons, une grande
tolérance, des convictions laïques.
Le décès de Frida en 2017
suscitera chez lui une extrême lassitude, un profond désintérêt pour la vie, et
il la rejoindra rapidement ; « sa Juliette » en quelque sorte.
Si Hamadi Ben Youssef est
parti lucide, dans la dignité, après un long parcours fait d’espoirs et de
désillusions, de souffrances et de résilience, d’humanité.
Qu’ils reposent en paix
dans leur grand voyage et dans notre mémoire.
Othman Ben Youssef
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