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Les voleurs de bétail: des "outlaws" à la tunisienne




L’assemblée des représentants du peuple se penche actuellement sur un projet de loi sanctionnant sévèrement les vols de bétail.

On est amené à se poser la question : pourquoi un texte de loi spécifique aux vols de bétail alors que le droit criminel tunisien sanctionne tous les vols, quelles que soient leurs natures, par des peines de prisons variant selon l’importance de ces vols et les conditions dans lesquels ils ont été perpétrés ?

Le législateur désire donc ajouter le vol de bétail à la liste déjà longue des catégories de vols : vol à la tire, vol à l’arrachée, cambriolages, vols de voitures, vol avec effraction, vol à main armée, vol accompagné d’agression physique sur les personnes. Le vol de bétail fait déjà partie de cette gamme d’actes délictueux puisqu’il se fait le plus souvent avec effraction, à main armée et avec violence sur les éleveurs ou sur leur personnel.

En fait, c’est la multiplication de ces vols et de ces agressions et leurs effets sur l’économie rurale du pays qui a alarmé les pouvoirs publics qui ont vu la campagne tunisienne se transformer en « Far west » ou plutôt en « wild west », peuplés de fermiers apeurés et de hors la loi qui les terrorisent. Les éleveurs qui ont investi dans l’engraissement du bétail ou dans la production laitière voient le fruit de mois de labeur et de sacrifices, s’envoler en une nuit et parfois même en plein jour, sous la menace d’armes blanches et d’armes à feu à tel point qu’une grande partie de nos éleveurs vendent les animaux qui leur restent, ne repeuplent plus leurs étables et bergeries et viennent se réfugier dans les villes, alimentant ainsi l’exode rural et entrainant la désertification de nos campagnes.

Les médias nous informent souvent des actes de « braquage » en ville, sur les personnes, dans les habitations, dans les moyens de transport publics et sur les routes mais nous informent peu sur les drames que subissent nos fermiers et nos éleveurs isolés dans le bled. Ce qui se passe dans nos campagnes est beaucoup plus dramatique ; c’est le fait de bandes armées qui se présentent en véhicules, raflent tout sur leur passage, bétail et matériel agricole et n’épargnent même pas les ruches pourtant difficiles à manipuler. Ils vont jusqu’à dépouiller les oliviers, les orangers et autres arbres, de leurs fruits, tant ils se sentent en sécurité pour accomplir des tâches qui demandent du temps, ne craignant ni les fermiers impuissants ni la garde nationale trop occupée à pourchasser les terroristes et leurs complices.

Ne perdons pas de vue que tout agriculteur/éleveur est un chef d’entreprise qui a capitalisé uniquement grâce à son épargne, résultat d’une activité quotidienne qui ne compte pas ses heures. C’est un investisseur méconnu, ignoré par les économistes, évité par les banquiers et négligé par les gouvernants qui reste néanmoins un des investisseurs, un des employeurs, un des producteurs, les plus importants du pays. Si pour une raison ou pour une autre il cessait ses activités, la sécurité alimentaire et l’économie du pays seraient fortement compromis et c’est, malheureusement, ce qui est en train de se passer. Le phénomène a pris une telle ampleur qu’il ne touche pas seulement les éleveurs mais également tout l’environnement économique gravitant autour de l’industrie de l’élevage et des productions animales, à commencer par les  prestataires de services :   fabricants d’aliments pour animaux, centres de collecte de lait, centres d’insémination artificielle, marchés aux bestiaux, cabinets vétérinaires, cabinets conseil agronomique, bureaux d’études, et bien d’autres  pour finir par les industries agroalimentaires. Toute la chaine des produits alimentaires d’origine animale serait sérieusement affectée.

Pour arrêter ce phénomène, voter une loi est insuffisant ; il faut vouloir et pouvoir l’appliquer et prendre des mesures en aval car ces animaux volés sont transportés sur des véhicules qui empruntent des routes. Malheureusement, les mouvements d’animaux ne sont pas toujours soumis à contrôle et quand ils le sont, l’absence d’identification des animaux et de documents officiels d’accompagnement rend l’opération difficile, sinon impossible.  Rappelons à cet effet que les actions sanitaires de prévention et de lutte contre les maladies animales, entreprises par les services vétérinaires, reposent en bonne partie sur la police sanitaire qui impose le contrôle des déplacements d’animaux et du transport de leurs produits.

Cette incapacité à contrôler le mouvement des animaux qui est la cause de la diffusion rapide des maladies animales à travers les frontières et dans le pays, est aussi à l’origine de la dispersion rapide des animaux volés vers les marchés aux bestiaux éloignés où les contrôles sur l’origine de ces animaux sont absents et vers les pays voisins.



Or, ces mesures pertinentes qui, selon les textes existants, devraient être appliquées en permanence, restent le plus souvent lettre morte, en raison d'une absence de volonté politique, conjuguée à un manque de sensibilisation et de préparation des populations concernées. C'est ainsi que des mesures aussi fondamentales que le contrôle de la circulation des animaux, n'ont toujours pas fait l'objet d'un début d'application.



L’identification des bovins, en particulier, a toujours été avancée par les vétérinaires comme un élément indispensable à la réalisation des programmes de santé et de production animales et à l'application des mesures réglementaires de circulation et de contrôle sanitaire des animaux ; elle est également nécessaire à la connaissance des circuits commerciaux et des axes de déplacement des animaux, deux informations capitales, en matière surveillance épidémiologique. Les animaux portant une identification doivent être accompagnés de certificats sanitaires vétérinaires délivrés par l’autorité sanitaire.



La mise en place du programme d’identification a commencé tout d’abord dans six gouvernorats du Nord Est, à titre de test, puis étendu aux 24 gouvernorats du pays. Ce programme qui avait au départ un objectif zootechnique avait, par la suite, été orienté vers la traçabilité. L’exécution de ce programme avait été confié à l’Office de l’Élevage et des Pâturages, sans résultats apparents. Une bonne partie des boucles acquises sont restées en magasin plusieurs années, et celles qui ont été utilisées, ont simplement été remises aux responsables des fermes de l’élevage contrôlé, aux inséminateurs et aux contrôleurs laitiers, sans suivi notable, ce qui a nettement limité le nombre de bovins identifiés. Cette limitation de l’identification a contribué à la propagation de maladies contagieuses bovines telles que la tuberculose et de la brucellose et favorise actuellement le déplacement des animaux volés.






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