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L’élevage caprin en Tunisie

L’élevage caprin en Tunisie

L’espèce caprine est présente partout dans le pays. Son élevage est pratiqué depuis des siècles, suivant des systèmes liés aux conditions du milieu. La chèvre a toujours joué un rôle essentiel dans les régions marginales tunisiennes ; son élevage est de type extensif et son alimentation est basée sur l'utilisation quasi exclusive des ressources fourragères des parcours. Sa productivité est faible et ses productions contribuent essentiellement à la consommation familiale et comme source de trésorerie mobilisable. Les races locales prédominantes sont de type mixte, d'aptitude laitière généralement médiocres. Son lait est utilisé pour la consommation familiale et les chevreaux qui ne sont pas sacrifiés lors des fêtes et des évènements familiaux, sont vendus sur les marchés hebdomadaires à un âge assez tardif.

Les performances zootechniques des caprins tunisiens sont faibles, ils sont par contre parfaitement aptes à valoriser les fourrages ligneux des parcours. Le surpâturage de parcours déjà dégradés et les faibles potentialités zootechniques génèrent des problèmes liés à l'insuffisance ou à la baisse de qualité saisonnière des disponibilités fourragères, ou au défaut des bonnes pratiques d’élevage, autant sur le plan de l'équilibre de la ration, que sur celui de la reproduction ou du suivi sanitaire par l’absence de lutte contre le parasitisme et de vaccinations contre les maladies virales et infectieuses.

Le système traditionnel de conduite du troupeau est en crise ; les causes sont multiples et compromettent sérieusement l'avenir de cet élevage : l’interdiction de son élevage durant plusieurs décades, la raréfaction des ressources fourragères, la dégradation des parcours sous l'effet conjugué des sécheresses et d'une charge trop importante liée à l'augmentation des effectifs ovins, la politique répressive des services des forêts  qui interdisent l'accès aux parcours forestiers, au nom de l'impératif du reboisement, vieillissement des bergers et des éleveurs et, la désaffection des jeunes ruraux  pour une activité qu’ils considèrent peu valorisante, et qui préfèrent migrer vers les villes et même vers l’étranger.

La population caprine 

Le cheptel caprin domestique est très hétérogène et composé pour l'essentiel de la seule race locale ou autochtone ainsi que d’un grand nombre de populations caprines de croisements divers. Le patrimoine génétique caprin local, exprime de remarquables caractéristiques de résistance et de valorisation des ressources naturelles. L’aptitude des caprins à consommer une végétation difficilement accessible, ligneuse ou peu appétente pour les autres ruminants et à la transformer en nutriments, pour la production d’aliments d’origine animale à haute valeur diététique et nutritionnelle, a fait de l'exploitation caprine le meilleur investissement qui soit, en matière d’élevage en Tunisie. L’aptitude de la chèvre à valoriser les ressources fourragères arbustives a constitué un argument pour la dénoncer comme un fléau des forêts qu’il fallait combattre.

C’est ainsi que, depuis l’indépendance, les caprins ont été mis hors la loi par le décret du 25 août 1958, qui limite leur élevage. En quelques années leur effectif a été ramené de 1,8 millions à 421.000 têtes. Après avoir été réhabilités, le troupeau caprin s’était reconstitué mais on assiste durant la dernière décennie à une réduction des effectifs qui sont passés de 1.550.650 têtes en 2007 à 1.300.000 têtes en 2011 pour chuter à 1.162.288 têtes en 2015.

Répartition du cheptel caprin dans le pays

La Tunisie est un pays méditerranéen aride et semi-aride, favorable à l’activité d’élevage ; son cheptel autochtone est l’héritier d’une riche mosaïque de génotype. Son cheptel caprin est réparti sur tout le territoire tunisien et sur tous les étages bioclimatiques mais il existe rarement des troupeaux constitués exclusivement de caprins ; plus de 70% des caprins du système extensif font partie de troupeaux mixtes ou collectifs - dont la majorité des ruminants est constituée d’ovins et parfois de bovins de races autochtones – répartis comme suit :

Le Centre abrite 37% des caprins. 77% des troupeaux sont mixtes avec 25 à 30% de caprins. Seuls 6% des troupeaux sont composés uniquement de chèvres. Les zones arides et semi-arides détiennent à peu près 62% de l’effectif national contre 23% dans les régions humide et subhumide. Le Sud détient 50% des caprins, alors que 13% seulement se trouvaient au Nord.

Actuellement, avec un cheptel de 1.162.288 têtes recensé en 2015, le Nord a enregistré une augmentation des effectifs (28.39%), le Centre est passé à 29%, par contre le Sud a chuté à 42% de l’effectif national (O.E.P, 2015).

L’élevage oasien

L’élevage caprin dans les oasis du Sud est un élevage semi-intensif de type familial entretenu pour couvrir les besoins en lait et viande, des familles d’éleveurs. Seule la moitié des éleveurs de l’oasis dispose de petites parcelles, dont la superficie moyenne ne dépasse pas un demi hectare, et détiennent un nombre moyen de 5 unités femelles caprines. Le taux de fertilité moyen est de l’ordre de 80%. L’association de l’élevage caprin aux cultures de palmeraie est typique dans la zone et l'autosuffisance des besoins alimentaires du cheptel est assurée par les cultures fourragères qui occupent 14% des superficies totales exploitées. L’alimentation des troupeaux est basée sur la Luzerne, l’orge en vert, les écarts de triage des dattes, les résidus de cultures et les résidus ménagers. L’usage du concentré est rare et la complémentation est assurée par de l'orge en grains. La moitié des chèvres fréquentent les parcours dans et autour des oasis.

Production et potentialités laitières

La chèvre laitière est une forte productrice de lait, comparativement à la vache laitière. Elle est plus réputée dans les oasis sahariennes où elle est élevée dans des micro-troupeaux et dans certains élevages à caractère laitier dans le Nord (Bizerte et Béja). La lactation, dure 6 mois et produit 133 kg soit une moyenne journalière de 700g. Le pic de lactation est relativement précoce puis le rendement diminue progressivement jusqu’à s’annuler au tarissement. La traite est pratiquée sur toutes les chèvres et le lait est réservé en priorité au chevreau jusqu’au sevrage pratiqué à l’âge de 5 à 8 mois.

L’alimentation

En système extensif, l’alimentation de la chèvre est basée sur l'utilisation de la végétation naturelle des zones montagneuses, des parcours et des terres marginales avec un recours à la complémentation pendant les périodes difficiles. Dans le Nord, région humide et subhumide, l’élevage caprin, avec un effectif de 24%, se concentre dans les zones montagneuses de Séjnane et de Bizerte, l’alimentation est basée sur la flore forestière et sur les parcours accidentés, des terres marginales et des maquis avec recours occasionnel au concentré ou au foin. Le meilleur taux de fertilité est réalisé par les grands éleveurs, le meilleur taux de prolificité ainsi que l’important taux de réforme sont réalisés par les éleveurs sans terre dont le système d'élevage est caractérisé par la dominance des caprins à finalité familiale.

Dans les régions du Centre et du Sud, l’alimentation des caprins est basée sur les résidus de cultures, les parcours et les jachères. Dans le Centre, les exploitations caprines sont d’une superficie moyenne de 6.6 ha. Les parcours couvrent 50% de la ration. La chèvre autochtone a développé des régulations comportementales et physiologiques vis-à-vis de la prépondérance de la végétation ligneuse. Elle a plus d’affinité pour les ligneux que pour les herbacés et elle sélectionne les espèces rares, moins accessibles, comme les arbustes épineux, mais riches en matières azotées. La chèvre locale, par son comportement alimentaire opportuniste, a pu valoriser les rations riches en tannins et digérer les fourrages pauvres.

La production de viande

Les caprins locaux sont légers ; leurs conformations sont réduites et leurs moyennes pondérales sont de 38 kg pour les mâles et de 24 kg pour les femelles. Ces poids varient en fonction du stades physiologiques et des ressources disponibles. Une chèvre locale mise à la lutte produit en moyenne 1.41 chevreau vif par portée. Le poids moyen des chevreaux à la naissance est de 2.41 kg. Le taux de croissance maximal est atteint à l’âge de 35 à 45 jours avec un gain moyen journalier de l’ordre de 102 gr. Les quatre premiers mois sont la période de croissance la plus importante de la vie des chevreaux, pendant laquelle, ils réalisent 78% de leur poids. C’est la raison pour laquelle les chevreaux sont consommés à un âge précoce ; les garder après l’âge de 4 ou 5 mois ne va assurer aucune production supplémentaire importante. A la fin de la croissance, les chevreaux de montagne ont un poids moyen de près de 23 kg contrairement aux chevreaux des hauts plateaux et de la côte dont les poids dépassent rarement 20 kg.

La reproduction

La chèvre locale en Tunisie est un animal dont la reproduction est saisonnière et se déroule entre l’automne et l’hiver. La chèvre locale peut être mise à la lutte à l’âge d’un an, dès qu’elle atteint 62% de son poids adulte. La saison de la lutte débute au mois de septembre et l’ovulation est maintenue jusqu’au mois de mars. Le taux de prolificité moyen est de 153%, le taux de fertilité est estimé à 87% et le taux de fécondité à 142%. La mise-bas commence en octobre et continue jusqu’en Février ; 69% des chevreaux naissent de novembre à décembre. Le nombre moyen de chevreaux par portée et par femelle mise à la lutte est de 1.41 dont 1.29 atteignent l’âge de 90 j.

Le processus de sélection naturelle a permis à la population caprine autochtone d’acquérir ses qualités de rusticité qui ont permis sa survie. Elle possède un patrimoine génétique riche et diversifié qui augure de potentialités productives indéniables. Néanmoins, la disponibilité des ressources fourragères naturelles des régions difficiles, où ce cheptel a été repoussé, limitent les performances zootechniques de l’espèce. Toutefois, l’hétérogénéité de la population locale qui a fait l’objet de croisements anarchiques avec différents groupes génétiques, nous interroge sur ses qualités génétiques dominantes et sur ses potentialités zootechniques. Les caprins de Tunisie n'ont fait l'objet jusqu'à présent que de rares études peu approfondies et il est fortement suggéré de mener des études plus spécifiques et de mettre en place des stratégies d'amélioration génétique qui révèleraient des potentialités jusqu’alors ignorées.

Dr. Khaled El Hicheri 

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