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La fièvre aphteuse : une préoccupation majeure de nos services vétérinaires

Il n’y a plus de doute, le danger est à nos porte. Les derniers foyers signalés par les médias, en Algérie, se situent à Ghardaîa. Les risques sont grands de voir se déclarer une épizootie de Fièvre Aphteuse (FA) en Tunisie, malgré plusieurs années successives de vaccination des ruminants contre la maladie. Les Services Vétérinaires tunisiens le confirment et prennent les dispositions d’urgence pour faire face au danger. 

La Fièvre Aphteuse (FA) n’est pas la plus meurtrière des maladies animales. Elle figure toutefois parmi les plus dévastatrices pour les productions animales et affecte la population au travers des animaux. La FA touche plusieurs espèces animales ; elle inflige de lourdes pertes de revenu aux éleveurs et constitue une menace récurrente et un danger certain pour l’économie de l’élevage. Elle contribue à accentuer le déficit en protéines animales et à fragiliser la sécurité alimentaire et le développement économique des pays dans lesquels elle sévit.

Il est utile de rappeler, à cet effet, que la population mondiale ne cesse d’augmenter et passerait de 7 milliards d’habitants aujourd’hui, à plus de 9 milliards en 2050. La demande de produits alimentaires d’origine animale est appelée à croitre en conséquence. En 2050, la demande mondiale de viande augmentera de 76 %, celle des produits laitiers de 62 % et celle des œufs de 65%. Ces projections constituent autant de raisons de protéger nos ressources animales contre les maladies qui les agressent.

C’est aussi pour ces raisons que la FA constitue une préoccupation majeure des autorités vétérinaires de notre pays et des pays de la région. Elle possède un grand pouvoir de diffusion et de contagiosité et elle est toujours présente en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient où elle sévit de manière endémique et se manifeste sous la forme de flambées imprévisibles et brutales. Plus de 100 pays ne sont pas considérés comme indemnes par l’organisation mondiale de la santé animale, faisant peser une menace permanente sur les pays indemnes. L’expérience récente a montré que des épizooties de FA, économiquement désastreuses, pouvaient se manifester dans des pays qui se considéraient à l’abri de la maladie malgré l’adoption de stratégies de gestion du risque considérées comme efficaces.

En Tunisie, cette maladie qui se déclarait cycliquement sur le cheptel bovin et qui n’entraînait pas de dégâts importants, s’était attaquée en 1989, plus particulièrement aux ovins et avait provoqué d’importantes pertes, notamment sur les agneaux à la mamelle. Malgré plusieurs campagnes de vaccination massives, on ne peut pas considérer que le cheptel soit à l’abri d’une nouvelle épizootie car rien ne le protège contre d’autres souches virales que les souches utilisées dans ces campagnes de vaccination.

Le problème étant identique dans les autres pays de la région, une approche régionale est absolument nécessaire.  Malheureusement chacun de ces pays privilégie sa propre approche ; c’est ainsi que la Mauritanie ne vaccine pas contre la FA, le Maroc a arrêté de vacciner depuis 2006, l’Algérie ne vaccine que les bovins, la Libye ne vaccine que quelque rares troupeaux. Seule la Tunisie continue à vacciner tous les animaux des espèces sensibles (bovins, ovins, caprins et camélidés).
   
La Fièvre Aphteuse s’est manifestée à plusieurs reprises en Tunisie mais avec des sérotypes du virus aphteux différents, obligeant les Services Vétérinaires du ministère de l’agriculture à utiliser des vaccins trivalents AOC, durant de longues années. Depuis les années 70 à 1999, c’est le sérotype O du virus qui se manifestait et qui était réapparu en 2014 après une accalmie de 15 ans. Le sérotype A qui ne s’était pas manifesté depuis 1982 vient de faire son apparition dans la région de Bizerte en avril 2018. Quant au sérotype C, Il ne s’est plus manifesté depuis 1969. Plus récemment, des souches africaines du virus (SAT) ont fait leur apparition.

Ainsi, pendant 15 ans la Tunisie n’avait pas enregistré de cas de FA mais a quand même poursuivi une politique de vaccination générale, obligatoire et gratuite, de tous les animaux sensibles avec un vaccin trivalent, ce qui ne s’imposait pas. Cela ne l’a pas protégée de l’infection. Les foyers de FA les plus récents qui ont menacé notre pays, s’étaient déclarés en Libye en 2012 et, plus récemment en Algérie d’après la déclaration de la maladie par les autorités algérienne à l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) le 29 juin 2018, obligeant les services vétérinaires tunisiens à recourir à la vaccination d’urgence accompagnée par la mise en œuvre des mesures zoo-sanitaires essentielles.

Il convient de préciser, que la vaccination d’urgence est recommandée pour renforcer l’immunité existante afin de lutter contre un foyer de maladie dans un pays normalement indemne qui pratique une vaccination préventive – cas de la Tunisie - mais où le vaccin utilisé ne confère pas une protection contre la souche responsable de l’épizootie, ce qui n’est pas le cas de la Tunisie où le cheptel cible a été vacciné contre le sérotype du virus responsable. La vaccination d’urgence se pratique normalement en anneau autour du foyer de maladie pour empêcher sa propagation ou encore le long de la frontière. Cela n’a pas été le cas en Tunisie ou les SV ont préféré revacciner tout le cheptel sensible et partout.

Pour le contrôle de la maladie, la Tunisie a mis en œuvre le Processus de Contrôle Progressif (PCP-FA). La bonne utilisation de cet outil exige une bonne gouvernance des SV, basée sur une législation appropriée, un enseignement de qualité, des organismes statutaires vétérinaires, le renforcement des capacités des laboratoires et de l’expertise en épidémiologie ainsi que des réseaux de surveillance épidémiologique. Tous ces prérequis ont-ils été réunis et quels sont les résultats de cette démarche ?

La stratégie adoptée par les services vétérinaires tunisiens, est principalement axée sur la prophylaxie médicale et beaucoup moins sur la surveillance aux frontières et à l’intérieur du pays. Elle s’articule autour de campagnes annuelles de vaccinations préventives, généralisées, et sur des plans d’urgence et d’endiguement de la progression de la maladie dès son diagnostic alors que dans le cadre de la prévention, la surveillance épidémiologique de la maladie s’avère primordiale. Cette activité, bien menée, devrait permettre de suivre l’évolution de la variation antigénique des souches virales en vue d’utiliser le vaccin le plus approprié. Elle permettrait également d’évaluer l’immunité post-vaccinale, afin de pouvoir évaluer le programme de vaccination retenu et de le modifier si nécessaire. Dans ce cadre, des études épidémiologiques sont d’autant plus indiquées que d’autres souches virales contre lesquelles le cheptel tunisien n’est pas immunisé, se manifestent au Moyen-Orient et en Afrique.

Les campagnes de vaccinations coûtent cher à l’Etat ; le budget qui y est consacré représente entre 75 à 80% du budget des Services Vétérinaires alors que le budget consacré au contrôle aux frontières et celui consacré à la surveillance épidémiologique représente moins de 2,5% alors que c’est la répartition budgétaire inverse qui aurait du être privilégiée. La question qui se pose et qui mérite réponse est : pourquoi les SV s’obstinent-ils à continuer à pratiquer la vaccination obligatoire et généralisée alors que chaque fois que des foyers sont signalés, ils sont obligés de pratiquer la vaccination d’urgence ? ne serait-il pas plus indiqué, moins contraignant et moins coûteux, d’adopter la position des SV marocains et de consacrer les économies réalisées au renforcement des prérequis exigés par le Processus de Contrôle Progressif ?

Dr. Khaled El Hicheri

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