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Le croisement dit «d’absorption»

 

Le croisement dit «d’absorption»


Parmi les problèmes de développement auxquels s’est attaqué l’État tunisien dès l’acquisition de son indépendance, ceux concernant l’amélioration de l’élevage et le développement des productions animales ont toujours figuré en bonne place, à commencer par l’élaboration et l’exécution d’un programme d’amélioration génétique des bovins autochtones, basé uniquement sur le croisement d’absorption par l’une des 3 races amélioratrices - Brune des Alpes, Tarentaise, et Frisonne pie noire qui a été rapidement remplacée par la Holstein - retenues par les planificateurs, sur les conseils des consultants français appelés à la rescousse.

Sous le prétexte que les qualités de rusticité et de résistance aux maladies, des bovins de races autochtones et leur potentiel génétique appréciable, se prêtent à l'amélioration par croisement notamment en première génération, le troupeau bovin originel tunisien a été soumis à des manipulations génétiques irréfléchies, depuis le protectorat à nos jours, destinées à améliorer sa productivité et ce, par la saillie naturelle des vaches autochtones par des mâles importés de races laitières ou à double fin puis, plus intensément, par l’Insémination artificielle de semences de ces mâles ou de semences de races amélioratrices importées . Dans ce cadre, deux questions essentielles méritaient d'être posées : Quel type de croisement adopter et dans quelle zone du pays? A quel degré d'absorption fallait-il s'arrêter.

Sur le terrain, ces questions restent sans réponses ; l’inséminateur, ne peut proposer à l’éleveur que la semence de l’une des 3 races évoquées, parmi lesquelles l’éleveur doit faire son choix sur les conseils pas toujours judicieux de l’inséminateur ; un choix aléatoire, un peu à l’aveuglette, basé sur la robe et la conformation de la vache plus que sur les caractères génétiques recherchés. Cela a commencé avec les services de l’Elevage de l’administration du protectorat qui ont soumis les vaches locales à la saillie par des taureaux des races importées et cela sans programme d’amélioration génétique scientifiquement conçu ni rigoureusement appliqué.

Après le départ des colons, ces méthodes irrationnelles ont perduré pour aboutir à une mosaïque d’individus dont le patrimoine génétique constitue un mélange indescriptible dans lequel se noient les gènes de notre « Brune de l’Atlas » ou de la « Blonde du Cap Bon » en voie de disparition et autres races locales ignorées des planificateurs. Le croisement d’absorption a été conçu et exécuté dans l’unique objectif d’éradiquer définitivement nos races autochtones en les transformant en bovins identiques aux races dites amélioratrices retenues alors que c’est l’inverse qu’il aurait peut-être fallu faire pour que le cheptel importé puisse bénéficier des qualités génétiques des bovins locaux pour faciliter leur acclimatation et développer leur résistance aux maladies.

La question du croisement d’absorption se pose en termes économiques. Le choix de l'insémination artificielle comme méthode de métissage généralisée est justifié à postériori par la rapidité des résultats obtenus. La méthode est en effet employée dans toutes les zones d'élevage et rares sont les bovins qui y ont échappé. De ce point de vue, la méthode est efficace mais on ne voit aucune efficacité pour ce qui est de l’amélioration génétique - objectif essentiel du programme - ni de la sauvegarde du patrimoine génétique national.

Hormis les bovins laitiers d’importation, nous nous trouvons actuellement en présence d’un cheptel bovin important, composé d’individus issus de croisements multiples et non dirigés ni scientifiquement contrôlé, dont les phénotypes se confondent avec une des races améliorantes ou de plusieurs à la fois. Des bovins que l’on ne pourra jamais classer dans un groupe présentant le même phénotype ni dans le type de l’une des races amélioratrices retenues, ni même dans une future race tunisienne de Holstein, Brune des Alpes ou Tarentaise, la reproduction incontrôlée et chaotique ayant échappé à toute règle et démarche génétique réfléchie.

Il convient de rappeler que l'absorption du cheptel bovin de races locales par les bovins de races pures importée, grâce à l’insémination artificielle, avait été programmé pour une durée de 20 ans à l’issue desquels les races locales auraient été totalement absorbées par les races pures. Sachant que l'insémination artificielle des bovins a démarré en 1964, en Tunisie, voilà 57 ans que nous la pratiquons et que la grande majorité de notre cheptel bovin est métissée à des degrés plus ou moins importants.

L'amélioration génétique du cheptel bovin tunisien et la maîtrise de la reproduction constituent des facteurs de développement des productions animales et l'amélioration des conditions de milieu et de conduite du cheptel s'impose dans tout programme d'amélioration des performances. L'effet de cette amélioration est souvent rapide et perceptible ; néanmoins, l'amélioration génétique constitue une composante essentielle permettant à la fois la création d’un gain génétique et l'orientation des productions animales vers les objectifs visés par les planificateurs ; il s'agit d'identifier à long terme les besoins des consommateurs sur les plans quantitatif et qualitatif, ce qui permettra la mise au point de méthodes d'amélioration génétique appropriées tenant mieux compte des potentialités et des caractéristiques zootechniques du cheptel.

Personne n’a pensé donner une chance à cette bonne vache tunisienne qui fait partie intégrante de notre patrimoine culturel constitue une part de notre identité. Au lieu de penser à l’absorber pourquoi ne pas avoir pensé à la sélectionner dans son type racial et à donner ainsi un sens au programme d’amélioration génétique. Pensez que lorsque nos races locales seront totalement absorbées, nous nous retrouverons en présence d’un cheptel composé majoritairement de Holstein, de quelque rares Brunes des Alpes et de petites populations de Tarentaises et autres races d’origine étrangères à divers degrés d’absorption qui seront soumises aux mêmes conditions de conduite et d’alimentation que la vache locale, seront plus sensibles à l’aridité du climat, aux déséquilibres et déficits alimentaires et aux épizooties et qui ne produiront pas beaucoup plus.

Dr. Khaled El Hicheri


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