La Femme
tunisienne : une femme libre ?
L‘un des plus gros problèmes qu’a eu à affronter
l’humanité - et qui mine encore plusieurs pays de la planète - est celui de la
condition de la femme et de sa place dans la société. Partout, et de tout
temps, de l’âge de pierre à nos jours, les textes sacrés, les rites, les dogmes
et les coutumes, qui ont contribué à façonner les sociétés actuelles, ont fait
de la femme un être humain de second plan, voué à la reproduction, aux tâches
domestiques et aux corvées de tous genres. Ce statut n’a pas beaucoup évolué au
début de l’ère moderne ; elle n’avait pas droit à la parole dans la gestion de
la chose publique ni lors de l’élaboration des règlements, constitutions, et
autres textes juridiques qui réglementent notre vie et notre devenir. Le droit
de vote lui a été refusé durant plus de deux siècles et elle devait subir la
loi de « l’homme » et lui obéir en toute chose.
La situation de la femme vers un mieux-être n’a
commencé à changer qu’au vingtième siècle, à l’issue des deux guerres mondiales
et des combats des mouvements de libération nationales des peuples colonisés,
lorsque les femmes ont dû remplacer les hommes morts au combat ou prisonniers
de guerres durant plusieurs années. Des mouvements féministes et des
associations pour l’égalité des droits, ont vu le jour et ont mené un long
combat, jalonné de conquêtes sociales, sans toutefois arriver à acquérir la
parité avec l’homme.
En Europe et dans l’Occident chrétien, la question de
l’émancipation et du vote des femmes a fait l’objet d’une lutte acharnée, menée
par les « suffragettes », avec force manifestations, écrits et
débats. Les postes politiques et dans la haute administration ont pu être
arrachés aux gouvernements après des luttes épiques.
A l’échelle mondiale, l’Organisation de Nations Unies
(ONU) qui fut créée après la seconde guerre mondiale, a mis en place des
agences et autres structures internationales pour gérer les questions les plus
préoccupantes (sociales, culturelles, économiques, conflictuelles et politique),
et pour marquer son intérêt pour la question a proclamé “1975” Année
internationale de la femme.
En
Tunisie d’avant l’indépendance - et dans la plupart des pays musulmans - les
paroles de Dieu et de son messager, empruntes de justice et de mansuétude, ont
été interprétées par les « savants » de la religion en faveur des
mœurs et de la tradition, plaçant la femme – mère, sœur, épouse et fille – sous
la « protection » et la dépendance de l’homme, père, frère, époux ou
fils ; une protection sous forme de domination et d’exploitation sous
toutes leurs formes. Le sort des éléments féminins de la famille était scellé
dès leurs naissances ; elles ne pouvaient échapper au joug familial qu’en passant sous le
joug marital. L’épouse était répudiée pour un oui ou pour
un non et renvoyée au domicile paternel. Ceux, parmi les hommes, animés d’un
esprit de justice et de sentiments nobles - qui pratiquaient l’égalité des
sexes dans le milieu familial - n’arrivaient pas à changer les mentalités et
les mœurs d’une société masculine qui maintenait la femme dans un état
d’infériorité frisant l’esclavage. Ecartée de l’enseignement, enfermée dans un
cadre familial restreint et rigide qui ne permettait aucune expression de
sentiments intimes, écartée de toute forme de joie de vivre, elle portait en
elle « l’honneur » du clan et payait souvent de sa vie, des
« fautes » que la société qualifiait d’impardonnables. Livrée à la
vengeance aveugle des hommes elle préférait souvent se suicider.
Du fait
de la structure patriarcale archaïque, la femme était véritablement la chose de
l’homme. Exploitée et dominée, elle ne pouvait se soustraire aux abus de toutes
sortes et se trouvait vouée aux travaux de toutes formes, agricoles et
domestiques.
Aujourd’hui, la femme tunisienne joui de droits que
les femmes de la région et de bien d’autres pays lui envient. Elle occupe des
postes importants dans la magistrature, l’administration publique et le secteur
privé. Le pourcentages de femmes dans les professions libérales est en voie de
dépasser celui des hommes. Dans les universités, les enseignantes et les
étudiantes sont légions ; leur nombre croit d’année en année. Elles
occupent de plus en plus des emplois qui, auparavant, n’étaient assurés que par
des hommes. Elles sont devenues l’élément dominant dans les secteurs de
l’agriculture, l’enseignement et la santé, et si elles ne sont pas suffisamment
représentées à l’ARP et dans les gouvernements qui se succèdent, elles sont
beaucoup plus présentes dans les organisations de la société civile où elles un
rôle de premier plan.
Cette
évolution s'est faite en parallèle avec la lutte pour l’indépendance. Les
leaders du combat contre le colonisateur ne pouvaient pas concevoir une
indépendance sans libération de la femme, leur compagne dans le combat. Dans
cette lutte, la tunisienne galvanisée par les harangues et les idées libérales des
leaders politiques, vis-à-vis de l’émancipation de la femme, a exprimé son
nationalisme et son aspiration à la liberté et à la considération, en
descendant dans la rue lorsque les hommes n’osaient pas affronter les forces
répressives coloniales. Nombreuses étaient celles qui avaient été emprisonnées
et torturées.
Dès l’indépendance du pays, le Président Bourguiba et
son gouvernement se sont attaqués au statut de la femme, avec pour objectif le
rétablissement de ses droits de personne humaine, à l’égale de l’homme, et sa
libération de toutes les entraves qui jusque-là ont bridés ses espoirs pour une
vie meilleure, dans une société plus équilibrée ou hommes et femmes auraient
les mêmes droits et participeraient ensemble au développement économique et
social du Pays. Le 13 août 1956, le Code du statut personnel (CSP)
est promulgué ; il supprime la polygamie et la répudiation unilatérale et
adopte plusieurs lois en matière de droit de la famille sur le divorce, l'adoption ou l‘avortement. Une véritable
révolution, confortée par plusieurs articles de la nouvelle Constitution qui proclament notamment l'égalité devant la loi
entre les citoyens et citoyennes, la représentativité dans les assemblées
élues, le droit au travail et les salaires, la protection des droits acquis, le
principe de parité ou la violence faite aux femmes.
Ces dispositions ont contribué à réduire l’écart entre
le statut des hommes et celui des femmes ; un écart qui reste néanmoins
important et compromet l’essence même des textes qui prétendent émanciper 50% de la
population. Les inégalités entre hommes et femmes subsistent et constituent un
frein à la croissance et au développement économique et social. Beaucoup trop
de femmes ne sont pas encore autonome et restent sous la domination masculine ;
leur participation au marché du travail reste encore basse. Malgré une avancée
remarquable et remarquée, en matière d’enseignement et de formation, la femme
tunisienne reste toujours en deuxième position sur bien des plans et notamment
dans les postes de décision. La « majorité » dans l’Assemblée des
Représentants du Peuple ne semble pas empressée de poursuivre les réformes
indispensables à la libération totale de la tunisienne. A voir le comportement
de certains députés hommes vis-à-vis de leurs collègues femmes – un
comportement d’une hostilité et d’une violence inouie, révélant une haine profondément
enracinée – on peut imaginer les opinions rétrogrades qu’ils véhiculent et
qu’ils propagent.
Ceci me pousse à dire
que pour assurer la libération totale de la femme et la parité entre les hommes
et les femmes, il convient tout d’abord de libérer certains hommes, encore trop
nombreux, de leurs complexes de supériorité et d’infériorité, nourris
d’impératifs sexistes, de leurs doutes ou de leur assurance sur leur apparence,
leurs capacités intellectuelles et autres. Cette parité ne pourra pas être
atteinte avec le seul soutien des hommes de bonne volonté et des
élites politiques et culturelles acquises aux justes revendications des
tunisiennes mais beaucoup plus par la mobilisation des membres des organisations
féminines pour changer les mentalités.
Dr. Khaled El Hicheri
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