Suite 1 de l’article paru sur le magazine Leaders :
Radiographie d’une profession méconnue.
La médecine
vétérinaire en Tunisie : Radioscopie d'une profession méconnue *
L’échec des
campagnes de vaccination : de grandes pertes
Ils sont plus de 2.000
médecins vétérinaires à exercer en Tunisie, assumant une double mission, celle
de protéger le consommateur et de promouvoir l’élevage national. Une profession
très ancienne dans le monde mais récente en Tunisie, débutant avec les premiers
pionniers vétérinaires, formés en France et rentrés au pays après
l’indépendance. Sous leur impulsion se constituera tout un dispositif de
médecine vétérinaire, marqué notamment par la création d’un conseil de l’Ordre,
d’une école nationale à Sidi Thabet et le développement rapide des différentes
spécialités.
L’activité vétérinaire au
cœur des problématiques sanitaires
Le contrôle et l‘éradication des
maladies infectieuses, parmi lesquelles les zoonoses, s’imposent comme un
préalable indispensable à la qualité de vie des populations humaines et la
répercussion des actions de lutte contre ces maladies ne peut être que positive
aussi bien au niveau national qu’international, tant les systèmes de santé et
les échanges commerciaux dans les différents pays sont tributaires les uns des
autres.
L’enjeu en matière de santé animale en
Tunisie consiste à protéger les ressources animales nationales, afin d’éviter
des désastres économiques. Il consiste aussi à protéger la population humaine
des risques et dangers représentés par les maladies transmissibles de l’animal
à l’homme et par les aliments d’origine animale, insalubres ou contaminés. Le
rôle du médecin vétérinaire est de veiller sur la santé des animaux afin qu’ils
puissent fournir des aliments en quantité et qualité suffisantes pour répondre
à ces besoins et seul un animal en bonne santé peut fournir des aliments de
bonne qualité nutritionnelle et sanitaire.
Dans un avenir plus ou
moins lointain, les vétérinaires ruraux vont connaître un certain déclin de
leurs activités traditionnelles ; toutefois, ils resteront toujours
présents dans les élevages où ils exerceront d’autres activités liées au
domaine de la pathologie individuelle ou collective, au suivi du cheptel, son
hygiène, son alimentation, ses problèmes de reproduction, toutes activités pour
lesquelles ils ne craignent pas la concurrence d’autres professions. L’activité
vétérinaire va être au cœur des nouvelles problématiques sanitaires. C’est
ainsi que les campagnes de prophylaxie tendront à s’alléger au profit des
activités de surveillance épidémiologique. La décision de confier la prophylaxie
médicale aux vétérinaires titulaires du Mandat sanitaire était judicieuse ;
elle peut être considérée aujourd’hui comme déterminante.
Sur le plan de la santé
du cheptel, les programmes d’éradication des zoonoses et les campagnes de
vaccination des maladies animales prioritaires n’ont pas abouti, en bonne
partie du fait que les libres praticiens ont été maintenus, pendant des
décennies, hors du circuit de prévention et de lutte contre ces maladies. Or,
l’impact des grandes épizooties, des zoonoses majeures et des principales
maladies animales est considérable. Il est ressenti aussi bien au niveau de la
santé des animaux qu’à celui de la santé des personnes et se traduit par des
pertes économiques importantes à l’échelle du pays. Des milliers d’animaux
meurent chaque année de ces maladies et beaucoup enregistrent des pertes de
production importantes et gardent de graves séquelles qui compromettent leur
productivité future. L’homme paie également un important tribut aux zoonoses.
Les cas de mortalité, les traitements de longue durée et les interventions
chirurgicales sont nombreux et coûteux.
Sur le plan économique,
les pertes directes par mortalité et par morbidité et la mobilisation des
moyens matériels pour prévenir, contrôler et lutter contre les maladies
animales, représentent des sommes considérables et ne reflètent, en réalité,
que les pertes déclarées et visibles. La partie non visible est composée par le
nombre très important de cas non déclarés et par les chutes de production, le
manque à gagner, les arrêts de travail et les frais d’hospitalisation. Le coût
de toutes ces pertes, indirectes et non quantifiées, est de très loin supérieur
aux estimations.
Tous ces échecs ne sont
pas sans raisons. Pendant des années, l’importation de viande et de poudre de
lait a été favorisée au détriment de la production nationale et une politique
des prix défavorable à la production nationale a été pratiquée. La production
de viande bouchère n’a jamais été valorisée malgré les recommandations répétées
des vétérinaires. Les solutions de facilité ont toujours la faveur des
responsables qui permettent les importations de viande, de taurillons,
d’aliment et de génisses à grand renfort de devises mais ne sont pas capables
de mener à bien des programmes vitaux de développement des productions
nationales. L’absence de continuité dans la réalisation des programmes de
développement et de protection du cheptel et de la population est la règle.
Les budgets alloués au
développement et à la protection de l’élevage ont toujours été et sont toujours
en complète inadéquation avec les objectifs ; et les objectifs, malgré leur
modestie, se révèlent souvent trop ambitieux par rapport aux moyens
disponibles. Les structures administratives qui doivent veiller sur le
développement des productions animales sont sclérosées, budgétivores et
papivores à souhait et les velléités de changement ne se traduisent que par des
restructurations cosmétiques. Le dicton populaire « on remplace un oignon par
une gousse d’ail » dépeint très bien ces semblants de restructuration.
Un corporatisme
pernicieux et nuisible est pratiqué par certaines catégories professionnelles
au détriment des intérêts nationaux. On assiste également à la désaffection des
exploitants, des éleveurs et des représentants de la profession et à la
réduction des prérogatives des services vétérinaires officiels à l’heure où on
a le plus besoin d’eux. Il n’était, pourtant, pas difficile de laisser jouer la
loi du marché sur les produits alimentaires d’origine animale, ou d’imposer la
catégorisation des carcasses et des viandes ou encore d’assurer un financement
pérenne aux programmes de développement des productions, d’amélioration des
performances ou de lutte contre les maladies !
Pour
un fonds spécial de la santé animale
Quelle
difficulté y avait-il à constituer un fonds spécial de la santé animale,
alimenté par des prélèvements sur les importations et les exportations de
produits alimentaires d’origine animale, sur les taxes perçues dans les marchés
aux bestiaux et dans les abattoirs pour financer, sans discontinuité, les
programmes de prévention de lutte et d’éradication des maladies animales ?
Une
nouvelle loi suffirait pour restituer l’autorité aux « Services vétérinaires »,
et en faire la seule autorité compétente dans l’inspection et le contrôle
des denrées alimentaires d’origine animale sur les lieux de production, les
marchés, les lieux de collecte, d’abattage, de transformation et de
commercialisation et pour créer une structure autonome telle qu’une agence
nationale des services vétérinaires et de l’élevage qui rassemblerait, pour la
promotion de l’élevage, production animale, santé animale, hygiène publique
vétérinaire, pharmacie vétérinaire et laboratoires de diagnostic. Il suffirait
de transformer l’Office de l’élevage et des pâturages en Office de
l’amélioration pastorale rattaché à la Direction générale des forêts. Les
missions d’élevage de l’OEP seraient alors réparties entre le Groupement
interprofessionnel des viandes et du lait, les fédérations spécialisées de
l’UTAP et l’Agence nationale des services vétérinaires et de l’élevage.
*Article paru sur le Magazine Leaders, le 12 octobre 2013, composé à partir d’extraits de l’ouvrage du Dr. Khaled El Hicheri intitulé « La médecine vétérinaire en Tunisie, passé, présent et avenir » édité par Nirvana, Tunis 2013, 446 p. 25 DT.
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