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Profession vétérinaire : péril en la demeure

 

Profession vétérinaire : péril en la demeure

 

Nous sommes à la veille de l’année 2021. L’année 2020 a été une mauvaise année sur tous les plans et pour la plupart des secteurs d’activités. Les gouvernements se sont succédés sans apporter un début de solution aux problèmes qui se posent à la population. L’année agricole n’a pas été des meilleures et les touristes se sont fait rares ; la pandémie de Covid-19 y est pour beaucoup, il faut le dire. Les mouvements de protestation se sont intensifiés et les rebellions contre l‘autorité se sont multipliés, soumettant l’Etat à un chantage aux conséquences dramatiques. Le coût de la vie est de plus en plus élevé, l’économie parallèle domine le système économique du pays, l’abattage dit « clandestin » n’en finit pas de prospérer. Le bilan de l’année 2020 a été catastrophique ; personne ne prend de décision, l’administration somnole, les « représentants du peuple » s’étripent au sein de l’assemblée et n’ont donc pas le temps de légiférer, les trois présidents : de l’Etat, de l’Assemblée et du Gouvernement, ne font, ni ne disent, pas grand-chose et semblent laisser pourrir la situation, espérant sans doute que du chaos sortira la solution.

 

La profession vétérinaire n’échappe pas à toute cette confusion. Pour elle, les problèmes ont commencé bien avant l’année 2020 mais ils semblent avoir culminé cette année-là. Les vétérinaires ont été accusé de tout et de n’importe quoi : le contrôle hygiénique et sanitaire leur échappe totalement, les abattoirs étant loués par les municipalités à des bouchers et des maquignons qui font la loi et détiennent les roulettes qui marquent les viandes par catégorie. Ils détiennent les clés et ouvrent les abattoirs à toute heure. Les saisies effectuées par le vétérinaire lors de l’inspection des carcasses, sont souvent récupérées après son passage et j’en passe, la liste des reproches fondés et infondés est trop longue.

Si un animal meurt c’est aussi la faute au vétérinaire qui est arrivé trop tard, alors qu’en fait ont l’a appelé en dernière minute pour justifier un abattage d’urgence ou des tentatives de traitements infructueuses effectuées par le propriétaire, qui ont précipité la mort de la pauvre bête.

Si une maladie contagieuse se déclare et se propage c’est la faute au vétérinaire alors que le propriétaire ne l’a appelé que lorsque plusieurs animaux sont déjà morts et n’ont pas été signalés.

Des cas sont montés en épingle par certains médias à la recherche du scoop ou du buzz ; Facebook, le bouche à oreille et monsieur tout le monde s’en mêlent et cela devient un problème national d’une importance telle qu’il dépasse l’incurie de nos dirigeants.

Il n’y a pas que des saints dans la profession vétérinaire et ceux qui sont fautifs sont d’abord sanctionnés par leurs pairs et sont à la disposition de la Justice pour être jugés.

 

La profession vétérinaire est mal connue dans notre pays. Le déficit de communication actuel est notable auprès de la population qui ne connaît pas réellement l’importance du rôle du vétérinaire dans notre société, malgré la sympathie qu’elle éprouve pour ces médecins pas comme les autres. En effet, le public tunisien considère toujours le vétérinaire comme un médecin des animaux et ignore tout du rôle qu’il joue dans les autres domaines d’activité. Ce déficit de communication, dû en bonne partie à l’inertie des représentants de la profession, en la matière, est responsable de prises de mesures par les décideurs, en faveur d’autres professions, au détriment de la profession vétérinaire. C’est ainsi qu’après avoir été amputés de l’élevage, les SV se sont vu retirer l’hygiène et la santé publique vétérinaire.

Oter aux SV de l’Agriculture, toutes ces activités, revient tout simplement leur ôter plus de 80% de leurs prérogatives. En outre et pour être cohérent, ce transfert aurait dû être accompagné par celui de toutes les autres structures vétérinaires (les laboratoires vétérinaires, l’école vétérinaire, les arrondissements production animale des CRDA et le Centre National de Vigilance Zoo-sanitaire) qui constituent un tout indissociable. Si le législateur souhaitait transférer toutes ces structures au ministère de la santé publique, cela aurait été compréhensible car dans de certains pays, les Services Vétérinaires officiels font partie intégrante du MSP. * 

Dans la longue histoire de la médecine vétérinaire de l’Antiquité à nos jours, de l'empirisme des premiers âges de l'humanité, a succédé la conception scientifique de la médecine et des sciences vétérinaires dont les progrès permettent aujourd'hui au médecin vétérinaire de se présenter en protecteur de la santé et du bien-être de l'animal et en protecteur de la santé de l'homme et de son environnement ; mais  Il a fallu plus de deux siècles pour que le rôle des médecins vétérinaires ait été reconnu comme primordial dans le système médical qui vise en priorité la santé de l’homme. Contrairement aux pays développés, l’administration de notre pays leur conteste cette primauté. C’est pourquoi j’écris cet article afin de jeter un bref éclairage qui permettrait de mieux connaitre cette profession tant vantée et tant décriée.

 

La première révolution industrielle portée par le charbon, a fait faire à l’humanité des progrès importants, durant le 19ème siècle. La deuxième révolution industrielle, portée par une source d’énergie à bas prix - en l’occurrence le pétrole arabe - a enrichi encore plus les pays déjà industrialisés et a fait faire à l’humanité un formidable bond en avant, durant le 20ème siècle. La révolution technologique que nous vivons actuellement est encore plus rapide et il ne se passe pas de mois sans que de nouvelles découvertes nous soient révélées. Les nouvelles technologies ont investi tous les aspects de la vie et la population est appelée à s’adapter rapidement.

 

Avec la globalisation et l’intensification des échanges, les fluctuations du marché international des animaux et des produits animaux se répercutent au niveau de la Tunisie. La profession vétérinaire doit suivre et parfois anticiper ces fluctuations ; ce qui implique que les vétérinaires, aux postes de commandes comme aux postes d’exécution, ont eu la formation qui leur assure la flexibilité nécessaire pour leur permette de s’adapter rapidement aux situations nouvelles.

 

Les Services Vétérinaires officiels sont soumis à la pression des SV des pays avec lesquels nous commerçons ; ils doivent dominer les législations, nationale et internationale, ainsi que les méthodes et les moyens modernes de gestion administrative. Pour pouvoir mener à bien toutes les missions qui leur sont confiées, ils sont appelés à assimiler et à mettre en œuvre les technologies nouvelles, plus efficaces et plus rentables, qui leur permettront de mieux communiquer pour une meilleure coordination, de collecter, de stocker et d’analyser plus rapidement les données sanitaires, épidémiologiques et zootechniques et de procéder plus rapidement aux diagnostics de laboratoire.

 

Ces technologies nouvelles, qui améliorent le rendement et l’efficacité des SV, nécessitent l’acquisition d’appareillages et d’équipement nouveaux ainsi qu’une formation complémentaire en informatique. La crédibilité du pays s’en trouvera renforcée car la surveillance épidémiologique sera mieux assurée, l’analyse des données recueillies sera plus fiable, les capacités des laboratoires seront renforcées, les déclarations de maladies seront plus rapidement effectuées, le contrôle de qualité des aliments et la pharmacovigilance seront mieux assurés.

 

Impliqué tout naturellement dans le système de santé au sein duquel il veille à la protection de la population, le vétérinaire tient également compte des impératifs d’amélioration de la productivité de l’élevage et de la qualité de ses productions. Il se situe entre deux pôles d’attraction : d’une part, la santé publique et d’autre part, les performances économiques de l’élevage national. L’intérêt de protection des consommateurs doit, certes, primer mais le vétérinaire est tenu d’œuvrer vers un intérêt commun qui englobe les objectifs prioritaires de santé publique et les intérêts économiques, non moins importants, des filières de l’élevage. Le caractère libéral de la profession vétérinaire la lie, en effet, intimement, aux intérêts des éleveurs, à la situation économique du pays autant qu’à la situation sanitaire de sa population. Elle est, par conséquent, très sensible aux crises qui secouent aussi bien le monde rural que la population urbaine.

 

A l’intérieur du champ d’activité délimité par ces deux pôles d’attraction, la médecine vétérinaire se caractérise de nos jours par l'ampleur de ses domaines de compétence et l'importance économique et sociale de ses activités. Le nombre de débouchés possibles dans les branches traditionnelles de la profession est appelé à régresser sur le long terme ; mais l’impact des changements de notre environnement, de la globalisation, de l’intensification des échanges, des nouvelles exigences sociétales en matière de sécurité et de salubrité alimentaire, de santé publique vétérinaire et de bien- être animal, ouvrent de nouveaux débouchés. Ces nouvelles activités exigent la formation de vétérinaires spécialisés pour y faire face et répondre aux nouvelles demandes de la société.

 

L'enjeu en matière de santé animale en Tunisie consiste à protéger les ressources animales nationales, afin d'éviter des désastres économiques. Il consiste aussi à protéger la population humaine des risques et dangers représentés par les maladies transmissibles de l’animal à l’homme et par les aliments d’origine animale, insalubres ou contaminés. Pour assurer cette protection, la mobilisation de tous les acteurs de l’élevage et de la santé animale est nécessaire et personne ne sous-estime la qualité du réseau vétérinaire tunisien qui s’est enrichi de l’apport des médecins vétérinaires libres-praticiens que l’administration vétérinaire vient de doter du Mandat Sanitaire. Cette démarche quoique tardive est certes louable et il conviendrait de la poursuivre et de renforcer le lien établi entre SV officiels et vétérinaires mandatés pour mettre en place de nouvelles approches, mieux adaptées aux enjeux actuels de la santé publique vétérinaire.

 

La reconnaissance des compétences des vétérinaires par les pouvoirs publics, non seulement dans le domaine de la santé animale mais aussi dans les domaines de l’hygiène et de la santé publiques, a contribué à promouvoir la profession vétérinaire et à placer le médecin vétérinaire à une place privilégiée dans le système de santé aussi bien que dans la société. Cette reconnaissance des compétences des vétérinaires leur a permis de consolider leur position dans les domaines qui leur sont propres et qui devront être confortés par une législation et des réglementations sanitaires leur accordant des pouvoirs plus importants en matière d’hygiène publique, de production et de santé animales ainsi que dans la réglementation du commerce des denrées alimentaires d’origine animale. L’effort du côté de l’Administration devrait porter sur la promotion de systèmes de Santé Publique Vétérinaire, couvrant tout le territoire national et qui soient en mesure d’assurer la surveillance épidémiologique, l’alerte précoce et la réaction rapide en cas de menace ou de déclaration d’épizooties.

 

Le vétérinaire, en contrepartie, est appelé à faire preuve de compétence dans des domaines d'activités de plus en plus nombreux et variés. Pour s'imposer, outre son expertise, il devra savoir s'adapter aux changements rapides de l'économie et de la société, assimiler des connaissances nouvelles et accumuler un savoir de plus en plus vaste et précis. Les structures de formation devront anticiper ces changements et adapter leur enseignement en conséquence.

 

De nombreuses activités, que les premiers vétérinaires du pays avaient mises en place et développé, seront bien difficiles à récupérer de nos jours. Pourtant le grand nombre de vétérinaires qui cherchent leur voie et qui se dirigent vers la représentation médicale, où ils réussissent d’ailleurs fort bien, et vers d’autres horizons étrangers à notre profession, justifierait pleinement la récupération de ces activités. La profession vétérinaire jouit d’une bonne image auprès de la population. Elle doit conforter son image de « médecin des animaux » et optimiser celle de garant de la santé du cheptel et de la sécurité alimentaire de la population.

 

Dans un avenir plus ou moins lointain, les vétérinaires ruraux vont connaitre un certain déclin de leurs activités traditionnelles. C’est ainsi que les campagnes de prophylaxies tendront à s’alléger, au profit des activités de surveillance épidémiologique. Toutefois, les vétérinaires resteront toujours présents dans les élevages où ils exerceront d’autres activités liées au domaine de la pathologie individuelle ou collective, au suivi des élevages, leur hygiène, leur alimentation, leurs problèmes de reproduction pour lesquelles ils ne craignent pas la concurrence d’autres professions.

 

L’activité vétérinaire va être au cœur des nouvelles problématiques sanitaires. La décision de confier la prophylaxie médicale aux vétérinaires titulaires du MS était judicieuse. Elle peut être considérée aujourd'hui comme déterminante. La mondialisation des échanges, le commerce illégal des animaux et de leurs produits et l'essor des animaux de compagnie exotiques, a accru les risques liés aux maladies animales transmissibles à l'homme. Ces risques amèneront les SV à étendre le MS, hors du cadre limité des animaux de rente et des seules campagnes de prophylaxie.

 

Dans tous les cas et quelles que soient les mutations et lévolution quelle est appelée à subir, la profession vétérinaire doit faire face à de nouvelles exigences de notre société en matière de santé publique et d’hygiène, de salubrité et de sécurité sanitaires des aliments. De plus, la Tunisie peut être plus que tout autre pays, du fait de sa position géographique et du fait de la globalisation des échanges, est menacée par les TADs, (Transboundary Animal Diseases ou maladies animales transfrontalières) par l’émergence de maladies nouvelles et par la réémergence de maladies qui ont préexisté et dont la prévalence avait considérablement baissé.

 

Indépendamment de sa situation géographique, la Tunisie, pays importateur exposé aux agressions exogènes, est particulièrement menacée. Or, le coût pour protéger le pays contre les TADs - en renforçant ses capacités de vigilance, de surveillance et de prévention et ses ressources humaines par des formations spécialisées adaptées au nouveau contexte épidémiologique - est nettement moins élevé que le coût pour éradiquer ces maladies, une fois installées dans le pays.

 

Dr. Khaled El Hicheri

 

*Extrait de l’article paru sur le blog de MVI « Hygiène et Santé publique vétérinaires : Un transfert injustifiable » 

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