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 La femme est-elle à la fête en Tunisie ?

La Tunisie fête les femmes de différentes manières ; il y a d’abord la fête des mères en reconnaissance de leurs sacrifices et de l’éducation, la protection et l’affection qu’elles ont prodigué durant toute leur vie, à leurs enfants. Elles sont ensuite fêtées par l’humanité entière lors de la journée internationale des femmes qui a eu lieu le 8 mars. Elles sont ensuite fêtées le 13 août par la nation, lors de la journée nationale de la femme qui est également la date de promulgation du Code du statut personnel, le 13 août 1956, une des premières mesures prises par le gouvernement après l’accès du pays à l’indépendance. Est-elle pour autant à la fête en Tunisie, aujourd’hui ? Le doute est permis.

Dans ce domaine, les historiens, les écrivains et les journalistes comparent toujours la Tunisie aux autres pays arabes. Il est évident que le saut effectué par le pays en matière de développement social et de statut de la femme, n’a pas d’équivalent dans la région du Proche Orient, du Moyen Orient et du Maghreb. Les tunisiennes sont bien représentées dans la plupart des professions :

La pharmacie (72 %)

Le corps médical (42 %)

L’enseignement universitaire (40%)

Les avocats (31%)

La magistrature (27%)

Les sièges au parlement (36%)

Les étudiant(e)s (42%)

Les diplômé(e)s de l’enseignement supérieur (67%)

Elles sont nombreuses dans l’armée, la garde nationale et la police, l’aviation civile et militaire

Ces taux sont éloquents ; d’autres chiffres le sont également :

La part de femmes dans la population active n’est que de 25% et a tendance à baisser.

15.000 femmes seulement sont chefs d’entreprises.

2,9 % des entreprises tunisiennes seulement ont un capital à majorité féminine.

Leur présence dans le secteur public est de 39 % et tend à diminuer.

Leur taux d’alphabétisation est de 72% et tend à diminuer.

Le Tunisie est classée 4ème en matière d’égalité entre hommes et femmes dans la région MENA.

Le chômage touche davantage les femmes que les hommes (22,5% à 35% vs 12,4%).

Elles continuent d’être victimes de toutes les formes de violences. La violence sexiste notamment, empêche les femmes d’accéder au marché du travail et de réaliser leurs projets.

Les femmes qui sont fortement désavantagées pour l’accès au crédit et à la propriété foncière.

Cette inégalité entrave leurs initiatives entrepreneuriales ou commerciales et leur autonomie financière s’en trouve affectée. L’accès des femmes entrepreneures aux sources de financement et à l’éducation financière est limité, suite aux pratiques de financement des banques, mais aussi du niveau, encore faible des connaissances financières des femmes entrepreneures.

Ces inégalités et ces baisses freinent le développement économique et social du pays, en le privant d’une partie de ses forces vives. Par ailleurs, selon le rapport du Forum économique mondial sur l'inégalité hommes-femmes, le chemin vers l’égalité reste long ; en effet, entre 2006 et 2020 :

Le classement de la Tunisie en matière d’égalité de genre est passé du 90ème au 124ème rang, sur un total de 153 pays ; du 97ème au 142ème rang en matière de participation économique et opportunités de travail ; du 76ème au 106ème rang en matière d’éducation et du 53ème au 67ème rang en matière de participation politique. 

Ces reculs sont alarmants, tant les acquis sont fragiles. De plus, l’Etat ne semble pas disposé à adopter les mesures nécessaires à une égalité des genres, conformes aux dispositions de la nouvelle constitution du 26 janvier 2014 dont plusieurs articles énoncent clairement l'égalité entre les citoyens et citoyennes devant la loi sans aucune discrimination, garantit la représentativité des femmes dans les assemblées élues et accorde le droit à un travail exercé dans des conditions décentes et à un salaire équitable.

Par ailleurs, l'article 46, consacré spécifiquement aux droits des femmes, engage l'État à protéger leurs droits acquis, à les soutenir et à les améliorer, à garantir son accès aux différentes responsabilités et ce, dans tous les domaines, à instaurer un principe de parité et à éradiquer les violences faites aux femmes.

Le Pouvoir, durant ces 10 dernières années n’a pas semblé disposé à appliquer ces dispositions ni à lever les réserves que la Tunisie avait émise lors de la signature de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, signée le 24 juillet 1980, en raison « de leurs contradictions avec les dispositions du CSP et du Coran », justifiant de pratiques discriminatoires, au nom des us et coutumes, tels le maintien de la qualité de chef de famille de l'époux et du père, l’inégalité successorale et, l’inégalité des parents dans l'attribution de la nationalité aux enfants.

L’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) a voté, sur le sujet, les seuls textes suivants :

La loi du 10 novembre 2015 qui permet aux femmes de voyager avec leurs enfants mineurs sans avoir à demander l'autorisation préalable du père.

En 2017, est abolie une circulaire datant de 1973 qui interdisait le mariage des femmes avec des non-musulmans.

En août 2018, et pour la première fois, une femme célibataire obtient l'accord de la cour pour adopter une petite fille handicapée, détournant ainsi l'article 27 de la loi de 1958 - qui exige pour l'adoption le fait d'être mariée, divorcée ou bien veuve - en se basant dans sa décision sur l'intérêt de l'enfant. Cela fera-t-il jurisprudence ?

Par contre, un projet de loi proposé le 27 février 2017, par le Président de la République Béji Caid Essibsi, sur l’égalité des droits en matière d’héritage n’a pas été discuté par l’ARP, ni voté.

Il n’y a pas vraiment de quoi festoyer. La route de l’égalité des genres est encore longue et le parcours plein d’obstacles. Pour les franchir, la conjugaison des efforts des femmes et des hommes de bonne volonté est nécessaire.

Dr. Khaled El Hicheri

*A lire sur le même blog « la femme tunisienne : une femme libre ? »

 

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