Accéder au contenu principal

Amélioration génétique des races bovines autochtones

 

Amélioration génétique des races bovines autochtones

 

 

Notre pays avait choisi l’option importation au détriment de l’option développement des potentialités nationales. Nos planificateurs avaient été piégés par les grandes multinationales des céréales qui ont justifié le recours aux aliments concentrés (maïs, tourteau de soja et orge) par la faible production fourragère nationale et la pauvreté des parcours. Ce recours a entrainé des dépenses d’alimentation du cheptel de races pures et améliorées vers des sommets ; elles constituent actuellement plus des 2/3 du coût de production de la viande bovine. Les quantités importées sont de l’ordre de 700 mille T de maïs et d’orge, 300 mille T de tourteau de soja, 70 mille T de son de blé, 50 mille T de bouchon de luzerne.

En 2007, une hausse des prix de l’orge de 68 % + 20% en 2008 ; le maïs a augmenté de près de 30% et le tourteau de soja a subi une augmentation de 48%. La valeur globale des importations a ainsi subi une augmentation de plus de 70% entre 2006 et 2007 ; la répercussion ces augmentations sur le prix des aliments composés a été catastrophiques pour les éleveurs et les consommateurs. Depuis, les prix de ces matières premières sur le marché international n’ont pas cessé d’augmenter.

Pendant des siècles, nos éleveurs, exploitants ou sans terres, ont entretenu des races bovines locales et les ont améliorées pour en faire des races caractérisées par leur rusticité, leur résistance aux conditions climatique sévères, à la disette et à la maladie. Ces qualités inscrites dans leurs gènes vont être perdues à jamais avec la disparition de ces races locales et la dispersion de leur potentiel génétique.

Le cheptel bovin autochtone était important en nombre avant l’introduction de races pures, majoritairement européennes. Ce cheptel bovin autochtone, adapté à l’aridité du climat et à bien d’autres conditions difficiles d’élevage et d’alimentation, est détenu par une multitude de petits éleveurs établis généralement dans des zones marginalisées et parfois sans terre. Cet élevage joue néanmoins un rôle socioéconomique important en contribuant pour une bonne partie à la couverture des besoins nutritionnels des populations rurales en lait et viande. Ces bovins de races locales produisent assez de lait pour allaiter leurs veaux et pour couvrir les besoins de la famille et parfois du voisinage. S’il existait une bonne infrastructure de base (routes ou pistes carrossables, électricité, centre ou mini-centres de collecte du lait) dans les zones où ces bovins sont élevés, il y aurait certainement beaucoup plus de lait à commercialiser ; l’éleveur, si petit soit-il, aurait fourni un effort pour améliorer la productivité laitière de ses vaches. Rappelons toutefois que la production de lait commercialisable a un coût ; notamment celui de la complémentation alimentaire, du transport du lait au centre de collecte, et des soins. Ce coût, le petit éleveur ne peut pas encore le supporter au prix actuel du lait à la production et il ne le pourra que s’il y trouve son compte, notamment en vendant son lait plus cher, sous un label de qualité tel le « Bio » ou une « appellation contrôlée ».

Ce cheptel bovin constitué de races autochtones s’est adapté depuis des siècles aux conditions sévères des différentes tranches climatiques du pays mais se concentre principalement dans le Nord-Ouest et le centre du pays. Les colons qui se sont établis dans ces régions durant le protectorat ont vite délaissé ces animaux peu productifs pour les remplacer par des bovins de races pures de leurs terroirs d’origine, plus exigeants en aliments et en soins mais plus sensibles aux conditions climatiques et aux maladies. Ils essayèrent néanmoins d’améliorer la productivité du cheptel local et les services de l’élevage de l’époque avaient mis en place un programme basé essentiellement sur le croisement avec des races européennes des régions montagneuses (tarentaise, brune des Alpes …) considérées comme rustiques, à même d’améliorer les performances des bovins locaux et ce, en prêtant a des éleveurs de confiance des géniteurs de ces races qui assureraient la saillie naturelle des vaches locales des environs. Ils introduisirent également des zébus du Pakistan, de races Nellore et Sahiwal pour améliorer les rendements en viande et lait de la vache locale et améliorer sa résistance vis-à-vis des trypanosomoses, thélèriose notamment.

Le programme actuel d’amélioration génétique des bovins autochtones est basé uniquement sur le croisement d’absorption par l’une des 3 races amélioratrices Brune des Alpes, Tarentaise, et Holstein qui a remplacé la Frisonne pie noire. Sous le prétexte que les qualités de rusticité et de résistance aux maladies, des bovins de races autochtones et leur potentiel génétique appréciable, se prêtent à l'amélioration par croisement notamment en première génération, le troupeau bovin originel tunisien a été soumis des manipulations génétiques irréfléchies, depuis le protectorat à nos jours, destinées à améliorer sa productivité par la saillie naturelle et plus intensément par l’Insémination artificielle. Dans ce cadre, deux questions essentielles méritent d'être soulevées : Quel type de croisement adopter et dans quelle zone ? A quel degré d'absorption faut-il s'arrêter ?

Sur le terrain, ces questions restent sans réponse ; l’inséminateur, ne peut proposer à l’éleveur que la semence de l’une des 3 races évoquées parmi lesquelles l’éleveur doit faire son choix sur les conseils pas toujours judicieux de l’inséminateur ; un choix aléatoire, un peu à l’aveuglette, basé sur la robe et la conformation de la vache plus que sur les caractères génétiques recherchés. Cela a commencé avec les services de l’Elevage de l’administration du protectorat qui ont soumis les vaches locales à la saillie par des taureaux des races importées et cela sans programme d’amélioration génétique scientifiquement conçu et rigoureusement appliqué.

Après le départ des colons, ces méthodes irrationnelles ont perduré pour aboutir à une mosaïque d’individus dont le patrimoine génétique constitue un mélange indescriptible dans lequel se noient les gènes de notre « Brune de l’Atlas » ou de la « Blonde du Cap Bon » qui agonise et autres races locale ignorées des planificateurs. Le croisement d’absorption a été conçu et exécuté dans l’unique objectif d’éradiquer définitivement nos races autochtones en les transformant en bovins identiques aux races dites amélioratrices retenues alors que c’est l’inverse qu’il aurait peut-être fallu faire pour que le cheptel importé puisse bénéficier des qualités génétiques des bovins locaux pour faciliter leur acclimatation et développer leur résistance aux maladies. Ses qualités de rusticité et de résistance aux maladies, et son potentiel génétique, appréciable se prêtent à l'amélioration par croisement, notamment en première génération.

L'absorption du cheptel bovin de races locales par les bovins de races pures importée, grâce à l’insémination artificielle, avait été programmé pour une durée de 20 ans à l’issue desquels les races locales auraient été totalement absorbées par les races pures. Sachant que l'insémination artificielle des bovins a démarré en 1964, en Tunisie, voilà 57 ans que nous la pratiquons et que la grande majorité de notre cheptel bovin est métissée à des degrés plus ou moins importants. L'amélioration de la productivité des bovins de races locales par croisement s'est traduite par la présence sur le terrain de bovins aux robes diverses et variées à dominante pie noire dénotant un usage excessif de semence Holstein. Ces croisements irréfléchis ne nous permettent pas de juger d’un progrès génétique mesurable sur lequel on pourrait construire un projet d’amélioration des performances comportant plusieurs composantes : génétique, nutritionnelle, sanitaire et de contrôle des performances, basé sur les résultats des rares travaux de recherche scientifique entrepris dans ces domaines.

L'amélioration génétique du cheptel bovin tunisien, l'amélioration des conditions de milieu, la maîtrise de la reproduction et de la conduite du troupeau constituent des facteurs de développement des productions animales qui s'imposent dans tout programme d'amélioration des performances. L'effet de cette amélioration est souvent rapide et perceptible. L'amélioration génétique constitue une composante essentielle du développement de l’élevage et des productions animales en réalisant à la fois la création du gain génétique et l'orientation des productions animales vers les objectifs visés par les planificateurs. Ces derniers sont tenus d'identifier sur le long terme les besoins des consommateurs sur les plans quantitatif et qualitatif, ce qui permettra aux chercheurs de mettre au point les méthodes d'amélioration génétique idoines, en tenant compte des potentialités et des caractéristiques zootechniques du cheptel et des possibilités fourragères. En race pure, le programme d'amélioration génétique repose essentiellement sur l'importation de génisses gravides et de semence de taureaux testés à l'étranger. Une programme « élevage de génisses » dans l’objectif de créer des noyaux de races pures laitières locales en remplacement des importations de génisses pleines n’a pas duré longtemps.

Personne n’a pensé donner une chance à cette bonne vache tunisienne qui constitue une partie de notre identité et fait partie intégrante de notre patrimoine culturel. Au lieu de l’absorber pourquoi ne pas la sélectionner dans son type racial et donner un sens au programme d’amélioration génétique. Lorsque nos races locales seront totalement absorbées, nous nous retrouverons en présence d’un cheptel composé de Holstein, de Brunes des Alpes et de tarentaises et autres races d’origine étrangères qui seront soumises aux mêmes conditions de conduite et d’alimentation que la vache locale, seront plus sensibles à l’aridité du climat, aux déséquilibres et déficits alimentaires et aux épizooties et qui ne produiront pas beaucoup plus.

                            Rappelons que la sélection est basée sur l’appréciation des qualités traditionnelles que l’éleveur recherche dans un animal d’élevage comme les bovins. Nos petits éleveurs pratiquant le système traditionnel recherchent la résistance aux conditions naturelles difficiles, la sobriété, la rusticité, la résistance aux maladies, les caractéristiques liées à la reproduction tels un cycle régulier des chaleurs, la fécondité, la facilité de mise bas et une bonne lactation en durée et en quantité. Nombre de ces qualités se retrouvent dans nos races bovines autochtones. Toutefois, sa faible productivité en lait, liée principalement à la ration alimentaire en quantité et qualité, l’oppose aux races pures d’importation.

Ce cheptel bovin autochtone, économiquement soutenu par ses apports en protéines animales est un bon pourvoyeur de viande, appréciée pour ses qualités gustatives, intervient pour 60% de la viande bovine consommée dans le pays. C’est le plus important producteur d’animaux destinés à l’engraissement et à l’abattage. A côté des jeunes mâles écartés de la reproduction et des réformes des bovins de races laitières, l’apport sur les marchés aux bestiaux dans lesquels se fournissent les maquignons et bouchers est constitué en grande majorité par les « Baggours », ces bovins des maquis des forêts et des parcours naturels qu’ils partagent avec les ovins et caprins. 

La question du croisement d’absorption se pose en termes économiques. Le choix de l'insémination artificielle comme méthode de métissage généralisée est justifié à postériori par la rapidité des résultats obtenus ; la méthode est en effet employée dans toutes les zones d'élevage et rares sont les bovins qui y ont échappé. De ce point de vue, la méthode est efficace mais on ne voit aucune efficacité pour ce qui est de l’amélioration génétique, objectif essentiel du programme, ni de la sauvegarde du patrimoine génétique national. Hormis les bovins laitiers d’importation, nous nous trouvons actuellement en présence d’un cheptel bovin important, composé d’individus issus de croisements multiples et non dirigés, non contrôlé scientifiquement, dont les phénotypes se confondent avec une des races améliorantes ou de plusieurs à la fois. Des bovins que l’on ne pourra jamais classer dans un groupe présentant le même phénotype ni dans le type de l’une des races amélioratrices retenues, ni même dans une future race tunisienne de Holstein, Brune des Alpes ou Tarentaise, la reproduction incontrôlée et chaotique ayant échappé à toute règle et démarche génétique réfléchie.

La saillie naturelle qui a également été utilisée dans le croisement d’absorption, est toujours préférée par les petits éleveurs qui ne sont pas regardant sur la pureté de la race ; ils achètent un taureau le plus souvent à l’OEP, sur le marché ou chez un éleveur agréé. Il s’agit là d’une méthode d’amélioration anarchique qui viendrait compléter le procédé d’insémination artificielle non moins anarchique. En fait, qu’importe la méthode pourvu que l’on arrive à absorber rapidement, cette vache autochtone, symbole infamant de notre sous-développement comme le furent nos chèvres et nos cactus dans les années soixante.

Sachant que nos races locales sont en voie de d’extinction, une des actions urgentes à mener est de créer des zones et des élevages « conservatoires » de ces races qui doivent être multipliées et épargnées de tout type de croisement pour sauvegarder un réservoir génétique du type local.

P. le comité exécutif de MVI

Dr. K. El Hicheri

 

 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

L’élevage caprin en Tunisie

L’élevage caprin en Tunisie L’espèce caprine est présente partout dans le pays. Son élevage est pratiqué depuis des siècles, suivant des systèmes liés aux conditions du milieu. La chèvre a toujours joué un rôle essentiel dans les régions marginales tunisiennes ; son élevage est de type extensif et son alimentation est basée sur l'utilisation quasi exclusive des ressources fourragères des parcours. Sa productivité est faible et ses productions contribuent essentiellement à la consommation familiale et comme source de trésorerie mobilisable. Les races locales prédominantes sont de type mixte, d'aptitude laitière généralement médiocres. Son lait est utilisé pour la consommation familiale et les chevreaux qui ne sont pas sacrifiés lors des fêtes et des évènements familiaux, sont vendus sur les marchés hebdomadaires à un âge assez tardif. Les performances zootechniques des caprins tunisiens sont faibles, ils sont par contre parfaitement aptes à valoriser les fourrages ligneux de

Histoire du caducée vétérinaire

L’histoire du caducée, emblème des corps de santé, remonte loin dans le temps. Il n’est pas une profession de santé, qui n’arbore un caducée spécifique où se retrouvent : le bâton, le serpent et les ailes. Le caducée vétérinaire n’échappe pas à la règle. Des caducées spécifiques à chaque profession ont, au cours des temps, été arborés sur les enseignes, les panneaux indicateurs, les véhicules des professionnels de santé, les ordonnances, les papiers à en-tête, les enveloppes, les porte-clés et bien d’autres objets liés aux activités professionnelles. Il convient, toutefois de signaler que le caducée est souvent confondu, à tort, avec l ' emblème  du  corps médical , le  bâton d'Asclépios ou bâton d'Esculape , avec la  coupe d'Hygie  des  pharmaciens   ou d'autres symboles médicaux ou paramédicaux dérivés de ces derniers. L’origine du caducée se trouverait dans la mythologie grecque ou romaine, faite de légendes et de fables qui expliqueraient l’origine du c

Les maladies infectieuses du dromadaire

  Les maladies infectieuses du dromadaire Comme toute autre espèce animale, les dromadaires souffrent de nombreuses pathologies qui compromettent leur potentiel productif. Ces animaux qui peuplent et animent les grandes étendues désertiques dans le monde ont, pendant des siècles, joué un rôle primordial dans les échanges commerciaux et culturels. La mécanisation puis la technologie ont réduit ce rôle et le dromadaire n’a dû sa survie qu’a sa capacité de vivre dans les pires des conditions climatiques et de milieu. Ses capacités de résistance et sa physiologie particulière ne le mettent malheureusement pas à l’abri des maladies ; des pathologies auxquelles les chercheurs se sont très peu intéressés. L'effectif actuel des dromadaires dans le monde est estimé à 15.370.000 têtes dont 80 % environ en Afrique et 20 % en Asie. Cette espèce animale, très peu représentée en Tunisie (80.000 unités femelles ou 170.000 têtes), est bien adaptées aux conditions sévères de l'environnement