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Pour un programme national fiable, de lutte contre la rage


Pour un programme national fiable, de lutte contre la rage

La Rage, cette terrible maladie, ne cesse de constituer une menace sérieuse pour la santé publique malgré la mise en place d’un programme national de lutte contre la rage (PNLR). En Tunisie, une nette augmentation des cas de rage animale et humaine a été observée durant ces dernières années, enregistrant un pic de 476 cas chez les animaux en 2014 et six décès humains en 2015. La rage est malheureusement une maladie encore négligée dont la déclaration n’est pas toujours automatique ; elle est à l’origine de grandes pertes économiques représentées par le coût de la Prophylaxie Post Exposition (PPE), de la vaccination de masse des chiens, de l’abattage des chiens errants et des mortalités d’animaux de rente.

La rage est une maladie qui peut être prévenue et le moyen le plus efficace et le plus rentable de lutter contre elle consiste à vacciner les chiens. L'élimination de la maladie chez le chien est un objectif stratégique réaliste ; il est justifié financièrement par les économies réalisées dans la (PPE). Les organisations internationales spécialisées (OIE, OMS, FAO, GARC) recommandent aux gouvernements la mise au point de programmes nationaux de prévention et de lutte contre la rage, basés sur la vaccination antirabique de masse des chiens qui constituent le réservoir et le vecteur principal du virus rabique ainsi que sur l’identification des animaux et le titrage des anticorps sériques antirabiques.
 
Ces programmes de lutte sont justifiés, par leur impact positif sur la santé de la population, par la situation épidémiologique de la maladie, son incidence et sa prévalence ainsi que par une probabilité raisonnable de succès et de durabilité. Pour ces raisons, il est impératif que tout PNLR bénéficie du soutien et de la participation sans réserve de l’Etat, des organisations vétérinaires nationales, des vétérinaires libre-praticiens, des propriétaires de chiens et du grand public d’une manière générale, pour atteindre un degré d’efficacité plus élevé.

Les outils de lutte contre la rage existent, cette zoonose étant pleinement aligné sur l'approche « One Health ». La Rage représente en effet, l’exemple type du concept « One Health/une seule santé ». Rage animale et rage humaine constituent une seule et même maladie et la lutte contre cette maladie repose sur une approche collaborative et sur un effort multisectorielle fourni par les secteurs de la santé animale, de la santé publique, de la protection de l’environnement, de l’information, de l’éducation et de nombreux acteurs de la société civile.

Un PNLR est un programme à long terme qui vise l'éradication de la maladie et qui nécessite un financement continu. Un tel programme est réalisable ; Il contribue notamment à améliorer l'efficacité des Services vétérinaires, afin de leur permettre de prévenir et de contrôler efficacement la rage, de contenir sa propagation et de protéger les populations les plus exposées. Un PNLR bien conçu, repose sur les composantes suivantes :  stérilisation et euthanasie des chiens errants, gestion de la population canine, vaccination de masse des chiens, traitement des personnes mordues par la PPE et, l’éducation/sensibilisation du public.

Un PNLR visant à éliminer la rage par la vaccination d’au moins 75% de la population canine constitue un objectif raisonnable, réalisable à moyen terme. Mais sans la volonté politique et les budgets appropriés, la couverture vaccinale pourrait être trop limitée.
La prévention et le traitement de la rage sont coûteux, bien que les campagnes annuelles de vaccination canine, lorsqu’elles peuvent assurer une couverture vaccinale pouvant atteindre 75% des chiens, soient très rentables et permettent de sauver des vies.

Un PNLR doit être élaboré compte tenu de :
·     L’analyse du risque
·     Capacités de surveillance renforcée et de réponse rapide.
·     Une bonne connaissance des facteurs sociaux.
·     La réalité de la capacité vétérinaire existante.
·     La neutralisation (élimination) des carnivores non vaccinables.
·     La vaccination en anneau autour des foyers pour limiter la propagation de la maladie
·     La nécessité d’une préparation appropriée et de stocks stratégiques de vaccins et de
     matériel (seringues, aiguilles, vêtements de protection).
·     La mobilisation des fonds de fonctionnement.

Composition et gestion de la population canine cible
La population canine en Tunisie est estimée à 700.000 chiens dont 90 % environ en zone rurale, 10 % en zone urbaine. Le renouvellement annuel de cette population se fait à 25 % de la population totale.
Sur cette population :
·        Les chiots âgés de moins de 3 mois (non vaccinables) représentent 12 % de l’effectif
·        8 % des chiens sont sans propriétaire.
·        12 % sont à propriétaire mais sont totalement ou partiellement divagants.
·        80% sont des chiens à propriétaire, gardés dans l’enceinte de l’habitation et tenus en laisse, donc vaccinables, soit 560.000 chiens.
·        20 % non gardés, non attachés, non accessibles et non vaccinables, soit 144.000 chiens

La connaissance de la démographie de la population canine est essentielle pour planifier des programmes de vaccination antirabiques efficaces et le contrôle de cette population constitue un élément essentiel de la prévention et du contrôle de la rage. Ces dernières années, une augmentation importante du nombre de chiens errants, dans le milieu urbain notamment, été constatée ; une augmentation due à l’accumulation des ordures ménagères dans les rues et les décharges, offrant une source importante d’alimentation à ces animaux en errance. La réponse du PNLR à cette prolifération et à cette errance a consisté depuis plusieurs dizaines d’années à organiser des campagnes d’abattage des chiens errants ; campagnes contestées de par leur caractère inhumain et qui se sont révélées inefficaces et coûteuses.  En effet, chaque chien abattu revient à l’Etat environ 50 $ US (balles et mobilisation de personnel et autres moyens) soit, sur la base de 50.000 chiens/an abattus, une dépense totale par campagne de l’ordre de 2,5 millions de US $, soit l’équivalent de 7,5 millions de dinars.

Les diverses méthodes cruelles d’abattage massif sans discernement, telles que l’utilisation de la strychnine ou les tirs sans discrimination, ne doivent en aucun cas être tolérées. En remplacement, des programmes de stérilisation pour chiens et chats doivent être mis en place et maintenus afin d’empêcher un nombre illimité de ces animaux de se reproduire sans restriction. Ces stérilisations, effectuées par des vétérinaires praticiens privés, maîtrisant l'anesthésie et la gestion de la douleur, réduiraient considérablement l’incidence de la rage.

Traitement des personnes mordues ou ayant été en contact avec des animaux enragés
La PPE est effectuée gratuitement à l’Institut Pasteur de Tunis et dans les centres de traitement régionaux (au nombre de 356). Ce traitement comprend une vaccination et éventuellement une sérothérapie par des immunoglobulines spécifiques d’origines équines.
La première étape pour la mise en œuvre de la PPE est de déterminer le niveau de risque d'exposition au virus de la rage en fonction du type de contact avec un animal présumé enragé ou dont la rage a été confirmée. La classification des niveaux de risque par catégorie est la suivante :
·      Catégorie I (risque quasiment nul) : contact ou alimentation de l'animal, léchage sur peau intacte ;
·  Catégorie II : peau découverte mordillée, griffures bénignes ou excoriations sans saignements ;
·     Catégorie III (risque élevé) : morsure ou griffure ayant traversé la peau, contamination muqueuse par la salive (léchage).

A partir des données présentées par l'OMS sur la vaccination contre la rage, il est recommandé que le vaccin puisse être administré par voie intradermique (ID) ou par voie intramusculaire (IM) chez les personnes exposées à la rage. La vaccination contre la rage par voie ID permet l'économie de nombreuses doses de vaccin et raccourcit les schémas vaccinaux.
En PPE, la voie ID permet également d'économiser des doses et de raccourcir le schéma vaccinal à 7 jours, par comparaison aux protocoles IM réalisés à 21 et 28 jours selon le protocole adopté.
Lorsque le risque de rage est quasiment nul, il n'y a pas lieu de proposer une PPE mais la surveillance vétérinaire de l'animal suspect est obligatoire pendant 14 jours avec l'établissement de trois certificats à J0, J7 et J14. La vaccination antirabique peut être poursuivie ou arrêtée à J7 suivant l’observation vétérinaire de l’animal agresseur.
Pour la catégorie III, la PPE repose sur la vaccination curative par administration de la première dose dès que possible après l'exposition et l'administration d'immunoglobulines spécifiques.

Chez les personnes n'ayant pas été vaccinées auparavant, et exposées à un niveau de risque de catégorie II ou III, la recommandation est le lavage de la plaie et la vaccination immédiate selon les protocoles validés par l'OMS soit :
  • Par ID : 2 injections de 0,1ml en 2 sites à J0, J3 et J7.
  • Par IM : 5 doses de 0,5 ml ou 1 ml (selon le vaccin) à J0, J3, J7 puis entre J14 et J28.
  • Par IM : 4 doses de 0,5 ml   ou 1 ml (selon le vaccin), dont 2 doses administrées en 2 sites à J0, puis 1 dose à J7 et 1 dose à J21.
Chez les personnes qui ont été déjà vaccinées contre la rage et exposées à un niveau de risque de catégorie II et III : après les soins locaux de la plaie, le protocole vaccinal par voie ID comprend l'administration de 2 doses de 0,1 ml à J0 et J3 ou 4 doses de 0,1 ml dans 4 sites différents à J0. Le protocole vaccinal par IM comporte 2 doses à J0 et J3 (sans changement par rapport aux recommandations antérieures).

L’OMS estime que le coût d’une PPE est d’environ 40 $ US, ce qui représente une charge financière importante pour les finances publiques lorsque les personnes exposées sont, comme en Tunisie, prises en charge par l’Etat qui dépense chaque année 1,6 millions de US $ équivalent à 4,8 millions de dinars.

Vaccination préventive chez l'homme

Il existe des vaccins antirabiques à utiliser avant une éventuelle exposition. Ils sont recommandés pour ceux qui exercent certaines professions à haut risque, (personnels des laboratoires manipulant des virus rabiques vivants, ou encore les personnes dont les activités personnelles ou professionnelles peuvent les amener en contact direct avec des carnivores ou d’autres mammifères susceptibles d’être infectés : personnel vétérinaire). La vaccination préventive est également recommandée aux voyageurs se rendant dans des zones isolées où la rage est endémique ou aux expatriés.

La prophylaxie en préexposition, comporte 3 doses de vaccin de 0,5 ml, administrées à J0, J7 et J21 par voie IM. La vaccination par voie ID permet le raccourcissement des schémas vaccinaux (0,1 ml en 2 sites à J0 et J7). Ce raccourcissement concerne également la voie IM (2 doses à J0 et J7).

Vaccination de masse pour chiens
La rage est une maladie à prévention vaccinale. La vaccination des chiens est une composante essentielle du PNLR. Il a été établi que la vaccination antirabique de 75% de la population canine peut protéger efficacement la population humaine contre le risque de rage provoqué par le chien ; elle permet de réduire le nombre des décès imputables à la rage mais aussi réduire le recours à une PPE aux personnes mordus par des chiens.
Le maintien du cycle rabique ou sa rupture sont soumis aux mêmes paramètres épidémiologiques, environnementaux et sociaux ; et seule la vaccination de masse des chiens permettra une réelle interruption du cycle de transmission de la maladie de l’animal à homme.

Malheureusement, en Tunisie, le PNLR n'a jamais atteint l'objectif de couverture vaccinale de 75% de la population canine. Cet échec dans l’atteinte de l’objectif assigné au PNLR est dû à certaines contraintes dont : l’insuffisance de la sensibilisation des propriétaires de chiens, la faiblesse du programme d’éducation sanitaire du public, la rémunération insuffisante du personnel chargé de la vaccination, la difficulté d’évaluer la population canine cible, l’absence de manuels de procédures, le non-respect de la chaîne du froid (transport, conservation et utilisation des vaccins), l’absence d’identification des chiens vaccinés pour faciliter la lutte contre l’errance, la remontée tardive de l’information et la lenteur de la réaction.
D’autre part, le PNLR a toujours manqué de moyens humains et matériels et ne pourra pas se poursuivre efficacement si on ne révisait pas la rémunération des vétérinaires libres-praticiens dans le cadre du mandat sanitaire et si on n’intensifiait pas la capture et la stérilisation des chiens errants.

Les vétérinaires et les Services Vétérinaires ont un rôle capital à jouer pour mettre en œuvre ces stratégies à l’échelle nationale. Leur mobilisation est impérative pour coordonner les opérations à conduire avec les services de santé publique, les autorités locales y compris les municipalités, les forces de l'ordre, et les ONG.

Dr. Khaled El Hicheri
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Commentaires

  1. C'est un exemple type du concept" ONE WORLD , ONE HEALTH" ,merci si Khaled
    sans oublié l'importance de la comptabilité analytique pour trouver la meilleure stratégie de lutte contre la rage .

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