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La profession vétérinaire : entre régression et évolution *


La profession vétérinaire : entre régression et évolution *

Chaque année, notre pays souffre de conséquences néfastes de maladies qui dévastent le cheptel de rente, nuisent à nos animaux de compagnie et endommagent notre santé. Dans le système de santé actuellement en place dans le pays, des médecins vétérinaires veillent sur la santé des animaux afin qu’ils puissent fournir des aliments en quantité et qualité suffisantes pour répondre à ces besoins et protéger la population humaine des risques et dangers représentés par les maladies transmissibles de l’animal à l’homme et par les aliments d’origine animale, insalubres ou contaminés. Néanmoins, le cadre structurel dans lequel ils évoluent pour mener à bien ces activités ne leur permet pas d’envisager l’avenir de leur profession avec sérénité.

Cet avenir est en effet lié aux changements socio-économiques observés dans le monde et dont les effets se répercutent sur notre pays. Un monde où la population ne cesse de croître et ses besoins en protéines animales aussi. La profession vétérinaire subit ces changements qui n’ont pas que des effets négatifs et qui ouvrent de réelles perspectives d’activités vétérinaires nouvelles qui s’adressent au monde animal autant qu’au monde des humains.

La globalisation, l’intensification des échanges et les fluctuations du marché international incitent les vétérinaires à l’anticipation, ce qui implique que ceux d’entre eux aux postes de commandes, ont la flexibilité nécessaire qui leur permette de s’adapter rapidement aux situations nouvelles telle que la féminisation croissante et rapide de la profession qui posera problème en médecine vétérinaire rurale, du fait de la pénibilité de ces activités.

La profession vétérinaire est-elle préparée à faire face à ces changements qui se répercutent sur nos ressources animales et sur la santé de notre population ? Et quel est l’avenir de ces médecins vétérinaires, hommes et femmes, dans le système de santé du pays, au sein duquel ils veillent à la protection de la population ?

Situés entre deux pôles d’attraction : d’une part, la santé publique et d’autre part, les performances économiques de l’élevage, ces vétérinaires doivent tenir compte des impératifs d’amélioration de la productivité de l’élevage et de la qualité de ses productions. Si la protection des consommateurs doit primer, la protection des intérêts économiques des filières de l’élevage, ne doit pas être négligée.

Le caractère libéral de la profession la lie intimement, aux intérêts des éleveurs, à la situation économique du pays autant qu’à la situation sanitaire de sa population et la rend, par conséquent, très vulnérable aux crises qui secouent aussi bien le monde rural, particulièrement sensible aux périodes de sécheresse et à la fluctuation des prix, que la population urbaine encore plus sensible à l’érosion de son pouvoir d'achat et de sa couverture sociale.

Cette profession, bien que toujours perçue par le grand public comme la médecine des animaux, joue un rôle est de plus en plus reconnu dans le système de santé. Elle s’adapte et ne cesse de progresser vers des domaines où sa contribution est sollicitée, tels que l’élevage et les productions animales, l’hygiène et la santé publiques, les industries agroalimentaires et pharmaceutiques, la pêche et ses produits, la protection et le bien-être des animaux, la protection du consommateur et de l’environnement ou la protection de la faune sauvage. C’est une profession qui évolue et le profil du vétérinaire type change en fonction des domaines de compétence dans lesquels il se distingue et des activités dans lesquelles il se spécialise. Il est appelé à présenter plusieurs profils car la mutation scientifique des méthodes de protection et de production animales a pour principal objectif la rentabilité, ce qui implique la caution professionnelle des vétérinaires qui sont appelés à jouer un rôle central dans l’industrie animale, au sein d’un vaste dispositif technico-commercial.

La spécialisation et la sophistication croissantes de la médecine et de la chirurgie vétérinaires que l’on observe dans les pays développés nous indiquent que les animaux domestiques vivent plus longtemps que jamais et que les animaux de rente vivent dans des conditions de mieux-être. Ces progrès offrent de nouvelles opportunités aux jeunes diplômés qui sont généralement formés pour traiter tous les animaux, mais qui dans la pratique ne sont susceptibles de traiter que quelques espèces animales de rente ou de compagnie pour lesquels ils finissent par se spécialiser. Ils sont de plus en plus poussés vers des spécialités cliniques comme la chirurgie générale, la chirurgie orthopédique, l'ophtalmologie ou la dermatologie ou la spécialisation par espèce animale (équidés, carnivores domestiques, animaux exotiques de compagnie, animaux sauvages en captivités) ou encore par espèce animale de rente (bovins laitiers, bovins de boucherie, petits ruminants, aviculture, apiculture, cuniculiculture) et pour certaines pathologies (pathologies de la reproduction et stérilité, pathologies des mamelles ….)

Parmi les profils vétérinaires qui sont appelés à s’affiner et à se renforcer, celui d'expert en santé publique est certainement le plus évident. Le besoin immédiat, appelé à s’amplifier, est à une expertise vétérinaire sur le contrôle des zoonoses. C’est ainsi que durant les crises de l’EBS ou « vache folle » ou de la grippe aviaire, les vétérinaires ont joué un rôle rassurant et modérateur, dans un climat propice aux fantasmes et aux comportements irrationnels. A cette occasion, le grand public découvrait le vétérinaire, protecteur de la santé de l'homme. La barrière entre santé animale et santé humaine venait de tomber.

Dans le domaine de la santé publique, de nombreux signes traduisent l’importance de ces mutations et du rapprochement les deux médecines humaine et vétérinaire, naturellement complémentaires, dans un monde où la santé ne fait plus qu’un et où les différences entre santé humaine et santé animale s’estompent progressivement. Dans ce cadre, le contrôle et l‘éradication des maladies infectieuses parmi lesquelles les zoonoses, ces maladies animales transmissible à l’homme, s’imposent comme un préalable indispensable à la qualité de vie des populations humaines, sans pour cela négliger les maladies animales à caractère endémique, l’objectif à long terme étant de faire baisser sensiblement la prévalence et l’incidence de ces maladies par la mise en place de programmes de lutte à moyen et longs termes, élaborés sur la base d’enquêtes épidémiologiques qui leur permettraient d’évaluer les possibilités de diagnostic de laboratoire et les moyens humains et matériels disponibles, à mobiliser. Entre ceux qui interviennent dans la pisciculture ou dans l’apiculture et ceux qui se consacrent à la recherche biologique et médicale, les vétérinaires jalonnent leurs domaines de compétence. Ils sont en voie de s’imposer comme protecteurs de la santé humaine, comme médiateurs écologiques et comme protecteurs de la nature et de l'environnement.

La défense de la santé animale, activité de base des vétérinaires, leur dicte la mise en place et le maintien d’un système de défense basé sur un contrôle strict aux frontières, un réseau de surveillance épidémiologique fiable, un diagnostic de laboratoire rapide, une réactivité immédiate, un bon système d’information et de communication et des plans d’urgence, permettant la mobilisation rapide des ressources. Pour être efficace, ce système de défense, qui a été renforcé par la contribution de médecins vétérinaires libres praticiens que l’administration vétérinaire a doté du « Mandat Sanitaire », doit émaner d’une volonté politique affirmée, se baser sur une législation adaptée, être doté d’un budget conséquent et pérenne et de personnel qualifié et motivé, afin de pouvoir effectuer le suivi rigoureux des programmes de prévention et de lutte.

Cette évolution de la profession vétérinaire n’a pas que des aspects positifs. Les spécialisations croissantes, le salaire, les préférences personnelles, les contraintes familiales ou la féminisation - à moyen terme la Tunisie figurerait parmi les pays ou les vétérinaires femmes seraient plus nombreuses que les vétérinaires hommes ; elles représentent déjà près de 35% des vétérinaires en exercice et les étudiantes à l’école vétérinaire sont déjà majoritaires en première année - finiront par réduire le nombre des vétérinaires « ruraux ». Le vide pourra être comblé, dans un premier temps, par l’installation de cabinets de groupe mais à la longue, la pénurie de vétérinaires ruraux finira par constituer le problème majeur de la profession comme on peut le voir actuellement en Europe 

Un autre problème se pose déjà, dû à la désaffection des petits exploitants qui ne peuvent plus se permettre les services du vétérinaire et finissent par faire appel à des charlatans ou à pratiquer l’automédication en s’approvisionnant en « médicaments » d’origine douteuse auprès de colporteurs et autres fournisseurs peu scrupuleux. L’assistance de l’Etat devrait être envisagée dès à présent, en réduisant notamment les marges bénéficiaires sur les produits médicamenteux à usage vétérinaire, destinés aux ruminants plus particulièrement.

Le contrôle des zoonoses doit interpeler les décideurs car les besoins actuels et les défis à venir pour la réalisation de programmes de Santé Publique Vétérinaire efficaces, seront fonction des structures à mettre en place.

Dr. Khaled El Hicheri                  

*extrait du livre de l’auteur « la médecine vétérinaire en Tunisie : passé présent et avenir »

 

Commentaires

  1. Intéressant comme article qui pourrait inciter Les confrères à réfléchir sur l'avenir de la profession vétérinaire

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