Les
points critiques des Services Vétérinaires officiels
Les
Services Vétérinaires tunisiens actuels sont l’émanation des anciens
« services de l’élevage », du temps du protectorat et des premières
années suivant l’indépendance, qui avaient pour mission première la protection
des ressources animales et le développement de l’élevage. Depuis, la profession
vétérinaire assiste impuissante à la dispersion des différentes fonctions constitutives
du domaine des sciences et activités vétérinaires, entre différents
départements ministériels et plus encore au ministère de l’Agriculture,
département de tutelle des services vétérinaires, où ces fonctions n’ont depuis,
jamais été réunies sous l’autorité d’une même structure comme elles l’étaient auparavant.
Cette
dispersion a eu pour conséquence un manque d’efficacité, en raison de la
faiblesse de la coordination et de la concurrence interservices. Le
positionnement des Services Vétérinaires dans l’organigramme du ministère de
l’Agriculture qui a dissocié ces services de ceux de la production animale et
de l’élevage, et qui vient de céder l’hygiène publique vétérinaire et la santé
publique vétérinaire à une agence du ministère de la santé publique, n’a pas contribué
à l’amélioration du niveau des prestations qu’ils fournissent à l’industrie
animale.
Ce
manque d’efficacité est le résultat des nombreuses faiblesses et points
critiques suivants, relevés dans l’organisation et dans les activités des
services vétérinaires :
Les
activités vétérinaires
Qu’il
s’agisse de services rendus par les vétérinaires officiels ou privés, les
activités vétérinaires sont multiples et variées. Les activités vétérinaires
officielles sont actuellement assurés par plusieurs structures dépendant de différentes
départements. C’est ainsi que la
sécurité sanitaire des aliments relève actuellement de plusieurs ministères et
reflète plus le poids de ces départements sur l’échiquier politique que
l’efficacité de cette activité. Il en résulte des difficultés de coordination
d’une part et un nombre d’inspections bien supérieure aux nécessités d’autre
part. Pour d’autres activités, exigeant la contribution des vétérinaires, un
monopole est exercé par le ministère de la santé publique ; à titre
d’exemple, en matière de médicaments vétérinaires, l’importation, la
distribution et la prévention des risques en termes de résidus ou
d’antibiorésistance, relèvent exclusivement des prérogatives du ministère de la
santé publique alors que ces risques ont le plus souvent, une origine animale.
Fonctions
régaliennes et fonctions économiques
Bien
que les fonctions de production aient été confiées à d’autres directions et
organismes sous tutelle (Direction Générale de la Production Animale, Office de
l’Elevage et des Pâturages, CRDA), les Services Vétérinaires régionaux, du fait
de leur position au sein des CRDA, en qualité de chef d’arrondissements ou de
circonscription Production Animale, et sous la pression des éleveurs, ont
continué à agir en agent de développement plus qu’en responsables détenteurs de
pouvoirs régaliens de police administrative et a fortiori de police judiciaire.
Ils continuent à fournir des prestations vétérinaires en soins et vaccinations et
négligent leur fonction régalienne.
Une
des fonctions régaliennes importantes des Services vétérinaires est de fournir
aux partenaires commerciaux internationaux les certificats sanitaires attestant
que les produits exportés répondent aux normes internationales de santé animale
et de sécurité alimentaire. Cette certification, liée aux maladies animales,
notamment aux zoonoses, et à l'hygiène des denrées alimentaires d’origine
animale, relève de la responsabilité de l'Autorité Vétérinaire nationale, mais cette
dernière manque de moyens et ne peut pas se renforcer sur la sécurité sanitaire
des aliments faute d’une volonté politique bien affirmée ni d’une politique
cohérente.
Législation
La
législation constitue un autre point critique important car les Services
Vétérinaires ne peuvent pas s’appuyer sur des services juridiques adaptés à
leurs besoins et ne disposent pas de juriste dans leur organigramme, les
obligeant à soumettre les propositions de textes à la direction générale de la
législation du ministère de l’agriculture. Les rares textes proposés mettent ainsi
des mois et parfois des années avant d’être soumis à la décision du pouvoir
législatif.
D’autre
part, la législation vétérinaire est assez mal intégrée par le personnel des
Services Vétérinaires qui, dans la pratique, s’appuient rarement sur une base
légale pourtant existante. À l’opposé, des textes inspirés de législations
étrangères, très précis et très détaillés sont à peu près inapplicables dans le
contexte local et créent des obligations intenables.
En outre, en matière d'hygiène et de
salubrité des aliments, la législation en vigueur est incomplète - souvent par
absence de textes d'application – complexe et source de conflits de
compétences. Sa révision et sa mise à jour sont nécessaires, en l'absence d'une
loi organique posant les bases d'une réglementation sérieuse. La contribution
des vétérinaires qui s’étend à la proposition de textes législatifs et
réglementaires relatifs à la « traçabilité » des produits
alimentaires et à la définition des normes qualitatives de ces produits, est
indispensable.
Si les textes encore en application,
donnent pleins pouvoirs au vétérinaire en matière d’inspection sanitaire des
viandes dans les abattoirs, ils sont inapplicables dans la majorité des
abattoirs qui ne répondent pas aux normes minimales d’hygiène. En outre, au
moment où les pays développés optaient pour la concentration des abattages pour
un meilleur contrôle, et supprimaient les tueries particulières, la Tunisie
adoptait la position contraire en opposition avec les recommandations du plan
directeur des abattoirs. Ces défaillances dans la chaine alimentaire provoquent
régulièrement des crises et scandales que les autorités administratives et les
médias s’empressent d’attribuer aux vétérinaires.
De plus, ce type de contrôle officiel se
limite actuellement aux viandes et aux produits de la mer, négligeant le lait,
les produits laitiers, les œufs, les ovoproduits et même des produits de
transformation des viandes, tous produits alimentaires extrêmement sensibles
aux contaminations microbiennes, pouvant véhiculer des pathogènes et qui sont
consommés en grandes quantités par la population. La surveillance de leur qualité hygiénique et de leur salubrité
est impérative.
Dans le domaine de la protection et du
bien-être des animaux, les vétérinaires ont un rôle primordial à jouer, rôle
qui ira en s'amplifiant. Ce secteur souffre malheureusement d’un déficit
législatif et c’est aux vétérinaires de proposer une législation et d’agir pour
qu’elle soit promulguée et appliquée.
Pour la protection du milieu, Les
vétérinaires sont souvent absents alors qu’ils peuvent intervenir à plusieurs
niveaux, tels l’élaboration de dossiers
d’autorisation d’installations ou d’agrandissement d’élevages car l’installation de ces
élevages doit obéir à des règles sanitaires et environnementales très strictes,
selon le type d’élevage et le nombre d’animaux, visant à limiter les risques de
pollution. Pour l’élaboration de ces dossiers, les éleveurs peuvent faire appel
à des vétérinaires qui sont en mesure de réaliser les enquêtes officielles requises.
Un
autre point faible que certains considèrent comme un point fort, consiste dans
le fait que la majorité, sinon la totalité des postes de direction des
structures et organismes vétérinaires officiels soient assurés par des
enseignants de l’Ecole Vétérinaire qui, s’ils ont la connaissance scientifique
spécifique liée à leur domaine de spécialisation, et l’aptitude pédagogique, n’ont
pas une connaissance suffisante du terrain. Cette situation limite la
concertation et écarte de ces poste les vétérinaires qui ont fait toute leur
carrière sur le terrain dans les différentes régions du pays et ont acquis une
connaissance approfondie de l’élevage et de la pathologie du cheptel ainsi que
de la gestion administrative et financière. La législation en la matière
devrait être revue afin que chacun soit à la place où il peut rendre le
meilleur service à la communauté.
Formation
Le
grand nombre de vétérinaires diplômés chaque année, s’il ne couvre pas encore
tous les besoins du pays, dépasse les possibilités d’emploi, ce qui amplifie le
phénomène du chômage et contribue à la dévalorisation de leurs diplômes. Cette
situation est due au fait que les actions des Services Vétérinaires et des
organismes statutaires manquent de vision d’ensemble. Ces actions se limitent
le plus souvent à la réglementation de la profession et à la déontologie et
plus particulièrement à la défense de la profession et à la protection des
vétérinaires, négligeant la réalisation d’études démographiques précises ou la préparation
de plans stratégiques à long terme.
Privatisation
et maillage vétérinaire du terrain
La
privatisation est un concept libéral adopté pour soutenir les « ajustements
structurels » imposés par les bailleurs de fonds internationaux. Elle s’est avérée
inadaptée dans le cas des Services Vétérinaires. Dans une économie de marché,
il est logique de privatiser des services que des professionnels libéraux sont
à même de réaliser mais encore faut-il que le marché soit organisé et rémunérateur,
ce qui n’est pas le cas dans notre pays où les dépenses de santé par animal
sont très faibles et où il existe de nombreuses zones d’accès difficile et à
faible densité d’animaux.
La
privatisation n’a pas eu les résultats positifs escomptés ; elle a été Conduite
sans l’accompagnement de véritables politiques de formation et d’encadrement de
la profession vétérinaire ni de régulation du marché des médicaments
vétérinaires et de valorisation des produits de l’élevage. C’est ainsi que les
vétérinaires ont beaucoup de mal à s’installer en libre pratique et notamment
en « rurale » et la médecine vétérinaires est très souvent exercée illégalement
par des personnes non qualifiées. Le maillage vétérinaire du terrain est
toutefois soutenu par la délégation d’actes obligatoires dans le cadre du
mandat sanitaire et, paradoxalement, par la vente illégale de médicaments et
autres produits vétérinaires.
Gouvernance
Dans
un souci de bonne gouvernance, les Services Vétérinaires ont associé
étroitement les parties prenantes à la prise de décision ; or cette
approche ne concerne pas les fonctions régaliennes dont les services officiels
sont chargés et qui nécessitent une étroite coordination à l’échelle du
territoire. C’est ainsi que l’inspection des viandes a été laissée aux
collectivités locales ou, pire encore, aux adjudicataires des abattoirs
municipaux, entrainant des bouleversements dans la chaîne de commandement et
provoquant des accidents pathologiques préjudiciables à la santé des
consommateurs.
Moyens
et financement
L’insuffisance
de ressources matérielles est notable. Les budgets consentis sont faibles au
regard des objectifs et des effets escomptés. Elles mettent en évidence
l’erreur commune qui consiste à considérer les Services Vétérinaires uniquement
comme un poste de dépense budgétaire, au lieu de les accepter comme un
investissement et un service d’assurance, de prévention et surtout de
développement dont il est dangereux de réduire les ressources. Cette situation
est entretenue par l’absence de dispositif de mesure du rapport coûts/bénéfice
des actions de santé publique vétérinaire. Il en résulte que ces Services n’ont
souvent que très peu de moyens.
Si
le financement de ces activités est généralement assuré par le budget national,
il arrive souvent que certains programmes et projets de moyennes et longues
durées, soient financés par des organismes de coopération et autres bailleurs
de fonds étrangers. C’est, toutefois, aux services officiels d'établir des
stratégies générales pour le domaine vétérinaire, de veiller à la cohérence des
projets qu’ils présentent et qu’ils s’engagent à en assurer la pérennité.
Ce
qui se passe généralement, c’est que les projets de développement soumis aux
bailleurs de fonds sont le plus souvent des projets de renforcement des
capacités des services vétérinaires par l’équipement des laboratoires - pour
lesquels il est plus facile de trouver des justifications techniques - les
systèmes d’identification, les systèmes d’information, les programmes de lutte
comme celui contre la tuberculose bovine ou l’influenza aviaire. Les bailleurs
de fonds fournissent alors, essentiellement du matériel de laboratoire et des
services sous forme de cycles de formations et surtout d’expertises, même si des
formateurs et une expertise locale de qualité sont disponibles. Ces projets qui
n’apportent pas de crédits de fonctionnement sont alors responsables d’un
détournement des moyens de fonctionnement ordinaires des Services Vétérinaires,
déjà insuffisants.
Le
mode de construction budgétaire, faisant appel à l’identification des moyens
réels nécessaires à l’atteinte des objectifs, oblige à passer du discours platonique
empreint de bonnes intentions à un budget chiffré qui ramène aux réalités et
oblige les Services vétérinaires à un réexamen de leurs priorités. Par
ailleurs, la dilution de la chaîne de commandement par éparpillement des
structures et des responsabilités ainsi que du maillage vétérinaire du
territoire, risque de rendre les Services vétérinaires impuissants devant des crises
sanitaires majeurs.
Dans
un environnement aussi défavorable, les Services Vétérinaires conduisent
néanmoins des actions dans tout le domaine vétérinaire et parviennent à assurer
les fonctions essentielles. Sur le plan pratique, en effet, les personnels font
preuve d’un dynamisme et d’un professionnalisme qui leur permet de compenser partiellement
quelques unes des contraintes existantes.
Ce
constat nous permet de dire que : chaque fois qu’il y a dispersion des
activités vétérinaires et qu’il n’y a pas de cohésion et de coordination pour
l’ensemble du domaine vétérinaire, il y a une perte évidente d’efficacité. Et
si, dans notre pays, l’élevage est considéré comme prioritaire, les Services
Vétérinaires qui exercent pourtant une partie de la souveraineté de l’Etat, sont
devenus secondaires et ne tarderont pas à être rétrogradés à des positions
subalternes.
Dr.
Khaled El Hicheri
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