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Les effets de la modification du milieu rural et des conditions d'exploitation sur les activités vétérinaires



Les effets de la modification du milieu rural et des conditions d'exploitation sur les activités vétérinaires

Le monde change ; il change rapidement et la profession vétérinaire devra suivre le mouvement. Les changements observés touchent autant le monde urbain que le monde rural, autant les médecins vétérinaires que les éleveurs et propriétaires d’animaux, dans tous les aspects de la vie sociale et économique. Suivant l’évolution inéluctable enregistrée dans les pays économiquement avancés, les agriculteurs tunisiens deviennent progressivement des acteurs économiques avisés et des gestionnaires exigeants quant à la qualité des services et à leur rentabilité. L'adaptation du vétérinaire et des services qu'il est appelé à rendre, aux fluctuations de l'économie et aux données socio-économiques nouvelles, est devenue une nécessité.

La Tunisie n’a pas encore atteint l’optimum de développement économique et social qui pourrait voir s’amorcer la régression des activités traditionnelles de la profession vétérinaire. Sur le long terme, le nombre des élevages diminuera sans doute, mais cela se fera au profit de modes de productions plus intensifs, sur des effectifs animaux plus importants et plus performants, encadrés par des éleveurs plus avertis et des vétérinaires mieux formés et plus spécialisés.

Les éleveurs, plus conscients de la valeur de leur cheptel et de ses productions, appelés à devenir des gestionnaires soucieux de rentabilité, continueront à faire appel au vétérinaire, non seulement pour les urgences comme cela est le cas de nos jours, mais de plus en plus souvent dans le cadre de la prévention, des soins individuels et collectifs et pour le conseil zootechnique, hygiénique et sanitaire.

L'évolution de la profession vétérinaire dans les pays développés devrait nous donner à réfléchir. N'a-t-on pas vu, en effet, en moins d'un demi-siècle, l'urbanisation accélérée de la clientèle et une modification importante des actes et des services demandés au vétérinaire, entraînant une spécialisation de plus en plus poussée qui, dans certains domaines, n'a plus rien à envier à la médecine humaine. Le temps n’est pas si proche où les contraintes économiques qui pèsent sur les éleveurs, verront les vétérinaires ruraux réduire leurs interventions en médecine curative, qui ne cessera pas car elle répond à une demande ponctuelle et individuelle de l’éleveur, au profit d’une médecine préventive et collective, où le conseil aura autant d’importance que l’acte vétérinaire lui-même, afin de permettre à l’éleveur d’améliorer la rentabilité de son troupeau et la qualité de ses productions.

Les vétérinaires ruraux assisteront, dans un avenir plus ou moins proche selon les régions du pays, à la disparition progressive des petites exploitations agricoles de polyculture, vivant presque en autarcie, au profit d’entreprises agricoles mécanisées et plus spécialisées, intégrées au sein de filières. Ils verront ainsi des exploitants agricoles se retrouver à la tête de véritables entreprises de moins en moins familiales et à la rentabilité très fluctuante, d’un type de production à un autre, en fonction des fluctuations du marché.

Dans le nouveau contexte économique, la concentration s’imposera comme un critère de rentabilité ; c’est ainsi que les élevages de volailles se font désormais quasi-exclusivement hors-sol, dans le cadre de structures industrielles, où seuls quelques vétérinaires spécialistes peuvent pénétrer. Dans les élevages de bovins, les vétérinaires sont encore très présents ; ils le resteront encore quelque temps malgré la diminution du nombre d’interventions, expliquée essentiellement par la faible rentabilité de ces élevages et une tendance de plus en plus prononcée à l’automédication. Mais là aussi, les impératifs de rentabilité et la pression du marché pousseront à la concentration et à des pratiques de gestions industrielles et commerciales.

Dans le domaine de l’élevage industriel avicole, cuniculicole ou bovin laitier, l’avenir du vétérinaire rural n’est pas évident car ces vétérinaires libres praticiens, ignorent tout du monde de l’entreprise, de ses contraintes et de ses préoccupations. Pour ce type de production, l’avenir est donc sans doute au vétérinaire spécialisé, salarié ou conventionné, le plus souvent intégré au sein de l’entreprise et que nos libres praticiens ruraux, dans leur profil actuel, ne seront pas en mesure de concurrencer. Ils seront alors obligés de s’adapter et de se former en conséquence.

Dans un avenir encore lointain, mais qui constitue déjà le présent dans les pays développés, nous assisterons très probablement, non seulement à une plus grande concentration d’animaux au sein d’une même exploitation mais à une spécialisation qui se situera au niveau des exploitations au niveau des zones et des régions de production en : bassins laitiers, régions avicoles, zones de   naisseurs et zones d’embouche pour la production de viande. Nous assisterons également à une intensification de la production qui résultera de l’élevage de races plus performantes, de l’augmentation de la taille des exploitations, et d’une gestion plus rationnelle des troupeaux.

Ces modifications dans la taille des élevages et dans les méthodes d’élevage et de production n’iront pas sans le développement d’affections nouvelles et de pathologies de groupe dans les élevages intensifs. Ces nouvelles pathologies, le plus souvent d’allure enzootique, si elles n’ont pas le caractère catastrophique des épizooties, n’en ont pas moins une incidence importante sur les coûts de production. Les mortalités s’étalant dans le temps peuvent s’avérer importantes et la morbidité constatée, l’est autant. Les médecins vétérinaires seront dans l’obligation d’évoluer et de s’adapter aux nouvelles conditions d’exploitation et de pathologie afin de fournir à l’éleveur le meilleur service qui lui permettrait d’optimiser les performances de son troupeau.

Il ne faut pas perdre de vue que la médecine vétérinaire est une médecine économique où tout acte et toute intervention sur un animal doivent être calculés en fonction de la valeur de l'animal et de la rentabilité qui en découle. Il est donc tout à fait normal que cette médecine évolue en fonction des nouveaux critères de rentabilité et des règles économiques qui les régissent. S’il est évident que l'éleveur aura toujours besoin des services du vétérinaire, les interventions de ce dernier seront toujours limitées par un seuil de rentabilité de plus en plus bas et qui ne se situera plus au niveau de l'individu mais au niveau du troupeau. C'est ainsi que le préventif, qu'il s'agisse de prophylaxie médicale ou de conseils, est appelé à prendre progressivement le pas sur le curatif. "Mieux vaut prévenir que guérir " ; cet adage est appelé à devenir le leitmotiv de la profession.

A l’instar de la médecine humaine, la médecine vétérinaire est appelée à beaucoup évoluer pour atteindre un haut niveau de performance technique qui lui permettra de mettre en application les avancées scientifiques. Loin de s’occuper exclusivement de la médecine et de la chirurgie des animaux, les vétérinaires seront appelés à devenir de véritables acteurs des mondes rural et urbain. Les critères de rentabilité de l’élevage guideront leur action qui ne s’adressera plus à l’animal seul mais au troupeau et plus encore à l’ensemble de la spéculation élevage au sein de l’exploitation, en tant que structure économique.

Les Vétérinaires ne doivent pas perdre de vue que seuls une agriculture prospère et un élevage rentable peuvent offrir à leur profession un espace de développement. Or la rentabilité de l’élevage ne peut être assurée que par son intensification mais paradoxalement, cette intensification, qui mettra aux commandes de véritables chefs d'entreprises, se fera aux dépens de la médecine vétérinaire traditionnelle, principalement curative et coûteuse, parce que plus individuelle que collective.

Dr. Khaled El Hicheri


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