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Pour la promotion de systèmes d'alimentation animale intégrés, dans les petites exploitations agricoles

 Pour la promotion de systèmes d'alimentation animale intégrés, dans les petites exploitations agricoles

La population de toutes les espèces animales du cheptel de rente en Tunisie a considérablement augmenté durant les dernières décennies et continue de croitre. Cet accroissement a été beaucoup plus important pour les volailles que pour les ruminants, et leur nombre a crû 4 fois plus vite dans les pays en développement que dans les pays développés. D’un autre côté, dans les prochaines décennies, la population humaine va doubler, plus particulièrement dans les pays en développement. Pour nourrir cette population en croissance continue, on aura besoin de plus de terres consacrées aux cultures vivrières et de rente. Cela réduira la disponibilité des terres pour les pâturages et les cultures fourragères. Mais cela produira plus de résidus de récolte et de sous-produits agro-industriels disponibles, dont beaucoup représentent d'excellentes sources d'aliments pour les animaux. Ces tendances agiront fortement sur la disponibilité et la demande futures de fourrages, et détermineront les systèmes d'alimentation et de production à adopter. Des systèmes de production adaptés aux ressources locales présentes ou potentiellement disponibles et non des systèmes basés sur des ressources fourragères d’importation.La quantité de biomasse produite dans notre pays n’est pas assez importante pour couvrir les besoins de la ration de base du cheptel. En outre, les faibles quantités produites ne sont pas totalement utilisées ou sont mal utilisées. Rappelons également que la plupart des plantes fourragères disponibles sur les parcours, dans les zones arides et subarides du Centre et du Sud du pays sont trop riches en fibres, pauvres en azote, minéraux et vitamines. A elles seules, elles ne peuvent pas constituer une ration de base équilibrée, et doivent par conséquent être complémentées par un apport d’azote (urée ou tourteaux de soja) et de condiments minéraux vitaminisés.Les ruminants ont la capacité d'utiliser les produits fibreux qui, autrement, seraient perdus (parcours, résidus de récolte, produits de la taille des arbres et arbustes). Or, dans de nombreux pays, les résidus de cultures représentent une part de plus en plus importante de la ration des ruminants et les arbres et arbustes fourragers, bien exploités, représentent une source conséquente de protéines pour le bétail. Cette biomasse présente l’avantage de ne pas entrer en compétition avec l'homme ni avec les animaux monogastriques (aviculture industrielle notamment) pour les céréales et autres aliments concentrés. Elle est facilement accessible aux petits paysans, car elle est généralement bon marché et représente la ressource fourragère la plus économique pour les ruminants. Pour ce qui concerne l'utilisation des parcours, généralement dégradés, sur des sols rendus fragiles par les charges animales excessives, la seule façon de les restaurer est d'adapter les charges à la capacité de production des parcours et d’y planter des arbres et arbustes fourragers et des plantes pérennes qui assurent une bonne couverture du sol est un moyen de les protéger, tout en produisant des fourrages de bonne qualité.

La population rurale agricole tunisienne est constituée pour sa grande majorité de petits paysans pauvres qui subissent de nombreuses contraintes qui doivent être prises en compte lorsque l’on envisage d’entreprendre des programmes de développement des zones rurales les plus pauvres du pays. Ces petits agriculteurs sont souvent sans terre, ou possèdent des terres de mauvaise qualité ou bien des terrains difficiles à exploiter par la mécanisation. Ils connaissent néanmoins très bien les conditions locales et leurs contraintes ; ils vivent souvent dans des zones à forte densité de population, utilisent leur terre le mieux possible et de façon intensive quand ils le peuvent, pour y cultiver des plantes vivrières polyvalentes plutôt que des plantes fourragères, pour satisfaire les besoins de la famille. Ils élèvent aussi plusieurs espèces animales : bovins, ovins, caprins, lapins, et volailles et parfois même dromadaires et équidés, pour les travaux agricoles et le transport.

La politique suivie par nos gouvernants dans ce domaine, était aberrante à plus d’un titre. Sous le titre ronflant de « programme de développement rural », l’Etat a fait don aux petits exploitants agricoles, avec ou sans sol : quelques brebis, quelques ruches, une vache laitière ou quelques lapines. Ce programme et ce saupoudrage, qui se voulait économique mais dont les objectifs réels étaient politiques - sans études de faisabilité préalable de tout le programme, sans se soucier des disponibilités fourragères ni de l’infrastructure nécessaire à l’écoulement de la production escomptée - se sont rapidement révélés inefficaces et sans aucune portée économique sur le développement local et régional ni sur les conditions de vie des populations rurales. A part les petits ruminants, tous ces animaux ont fini, soit dans la marmite familiale, soit sur les marchés hebdomadaire (vaches laitières) pour finir par constituer des bassins laitiers autour des grandes villes côtières (Sfax, Mahdia), un non-sens agroéconomique flagrant. Des sommes importantes ont été englouties pour un résultat contestable et n’ont nullement profité aux petits paysans qui ont fini par déserter leurs localités séculaires pour aller grossir les rangs des migrants vers les villes de la côte ou vers des pays d’outre-mer, à la recherche de meilleures conditions de vie.

N'aurait-il pas été beaucoup plus simple et plus bénéfique - pour développer ces régions reculées et aider ces petits paysans sans ressources – d’améliorer l’infrastructure de base (routes, pistes agricoles, ponts, électricité, dessertes d’eau de boisson, lignes téléphoniques) et d’installer des mini-centres de collectes de lait et des coopératives de service agricoles, pour rapprocher la fourniture de différents intrants agricoles et aider les paysans à plus et à mieux produire et à écouler plus facilement leurs produits.            

Les petits exploitants agricoles ne sont pas en mesure d’investir dans la production animale ; ils n’ont pas d’objectif de production tant qu’ils n’ont pas de moyens d’écouler une production excédentaire vers des marchés rémunérateurs. Ils n’ont pas accès au crédit car il n’existe pas en Tunisie d'institutions disposées à leur accorder un prêt à cet effet, et celles qui ont été créées pour financer les petits projets, ne s’intéressent qu’aux projets industriels ou de services. L’exemple de la Banque Grameen, au Bangladesh - qui a connu un très grand succès auprès des paysans sans terre, en leur accordant des prêts pour l'achat d'animaux ou d’intrants - devrait être suivi car, avec le prêt d’une somme minime, le petit paysan peut améliorer sa production, son revenu et ses conditions de vie. La révision de notre système bancaire est devenue indispensable ; il doit bénéficier à toutes les couches de la population désireuses d’entreprendre. Et plutôt que d’aider les agriculteurs étrangers en leur achetant leurs produits, aidons nos agriculteurs petits et grands à produire pour assurer en particulier l’autosuffisance en produits alimentaires d’origine animale.  

Sur le plan national, le pays ne dispose pas de suffisamment de devises étrangères pour assurer en même temps le service de la dette extérieure et couvrir le coût des importations d'aliments du bétail. Même les pays exportateurs de pétrole qui ont développé une industrie de production d'aliments composés du bétail, basée sur des matières premières d’importation, ont connu de grandes difficultés lorsque les prix du pétrole ont chuté. Devant les déséquilibres observés à l’échelle mondiale, en faveur des pays industrialisées, et suite à la concentration de la richesse dans les pays les plus riches, plusieurs pays en voie de développement comptent de plus en plus sur leurs propres ressources et réduisent leurs importations en produits alimentaires stratégiques. Il devient urgent de promouvoir en Tunisie des systèmes durables d'alimentation du cheptel, basés sur les ressources locales par l’amélioration des parcours et la promotion des cultures fourragères y compris celles des aliments concentrés.

Le petit paysan est rarement éleveur, au sens propre du terme ; il n’en a pas les moyens. La présence d’animaux sur son exploitation se justifie par leur apport à l’alimentation de la famille et à la constitution d’une trésorerie disponible pour les évènements imprévus et pour le financement des frais de mariages, de différentes fêtes, ou des frais de rentrées scolaires. Le rôle des animaux se justifie également par le besoin d’énergie animale pour la traction, les travaux agricoles et le transport. De ce point de vue, ces animaux peuvent être considérés comme suffisamment productifs. Le petit paysan est donc un éleveur par nécessité plutôt que par esprit spéculatif ; il n'a aucun intérêt à utiliser des races d'animaux hautement spécialisées, dont les frais d’alimentation, représenteraient une charge trop lourde pour son budget, alors qu’il peut disposer de parcours gratuits dont il peut valoriser les apports fourragers, si maigres soient-ils, par des races locales ou croisées, moins exigeantes mais aussi moins productives. Il devient alors nécessaire de développer des systèmes agricoles intégrés, qui tiennent compte de la complémentarité des productions de l’agriculture et de l’élevage, en utilisant les résidus de récoltes (chaumes et pailles de céréales, feuilles et brindilles de la taille des oliviers), en complémentation de l’apport fourrager des parcours. En contrepartie, les animaux fournissent - outre la traction animale nécessaire pour le labour et pour le transport des récoltes - le fumier, utilisé comme engrais naturel et parfois comme source d'énergie pour produire du biogaz pour la fourniture d'électricité au douar.

L'expérience a démontré que le transfert direct de technologie à partir des pays développés avait échoué dans le secteur de la production animale comme dans d’autres secteurs. Ce transfert de technologie a, dans certains cas, conduit à l'autosuffisance pour certains produits (viande de volaille, œufs, lait) mais jamais à l'autonomie du secteur de l’élevage. Les systèmes qui ont abouti à l’autosuffisance ont généralement été basés sur des niveaux élevés d'importations, de capitaux, d’aliments, d’animaux à haut potentiel génétique, d’équipements et d’assistance technique. Les importations d'aliments pour le bétail ou des ingrédients qui entrent dans leur composition, ont considérablement augmenté durant les 4 dernières décennies. Ces transactions représentent un enjeu considérable sur le marché international. De plus, ces importations ont souvent été largement subventionnées par l’Etat, détournant ainsi des fonds qui auraient pu être mieux utilisés pour favoriser la production nationale mais qui ont par contre maintenu notre dépendance, vis-à-vis du marché international.

C’est regrettable de le dire, mais les surplus de production des pays développés ont grandement contribué à la faillite des systèmes productifs locaux par le jeu de la manipulation des prix sur le marché international. Les grands pays exportateurs (USA et France notamment) - sous le prétexte hypocrite d’aider les pays en voie développement à développer leur industrie animale - en ont profité pour liquider leurs surplus en mais, tourteaux de soja, viande et lait - qui ne trouvaient pas preneurs - sous forme d’aide et de fonds de contrepartie pour le financement de projets d’aide bilatérale (France) ou de projets du Programme Alimentaire Mondial (USA). Dès que les surplus ont été liquidés - aux prix couvrant au moins leur frais de stockage - et que leur production a été régulée, les dits projets ont pris fin sans suite. Une bonne affaire pour les donateurs et un semblant de bonne affaire pour les pays « bénéficières » qui se sont retrouvés piégés dans un système de subventions du secteur des aliments concentrés importés qui a brisé toute initiative de développement de la production nationale en ces produits et contribué à accentuer notre dépendance vis-à-vis des pays promoteurs de ce type de projets de développement.

Dr. Khaled El Hicheri


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