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Pour une stratégie de réduction des importations de matières premières pour aliments composés

 

Pour une stratégie de réduction des importations de matières premières pour aliments composés

La question est d’importance et en pose bien d’autres. Peut-on produire suffisamment d’aliments d’origine animale à partir du cheptel actuel ? Avons-nous suffisamment de ressources fourragères pour bien alimenter ce cheptel afin qu’il puisse exprimer un potentiel productif en mesure de satisfaire les besoins nutritionnels de la population tunisienne ? Ce cheptel, adapté depuis des siècles à l’aridité du climat et à la raréfaction des ressources hydriques est-il réceptif aux programmes d’amélioration génétique proposés et aux techniques de valorisation des sous-produits et coproduits de l’Agriculture et de l’industrie agroalimentaire pour lui permettre de produire plus de viande et de lait ?  

L’option intensification de l’élevage, prise par les autorités administratives depuis les années 60 s’est traduite par une alimentation des ruminants basée sur les aliments concentrés plutôt que sur les ressources naturelles des parcours et sur les fourrages cultivés. Cette option a entraîné une nette dépendance de l’étranger. Alors que notre pays importait des aliments pour la sauvegarde du cheptel cuniquement lors les périodes de disette, il a fini par importer massivement des aliments concentrés pour assurer le développement et l’intensification de l’aviculture industrielle et de l’élevage de bovins laitiers puis progressivement de l’élevage ovin.  ‘était sans compter sur les pays producteurs de ces aliments qui, après une phase de prix réduits pour appâter les éleveurs et les amener à délaisser leurs techniques traditionnelles, ont augmenté brutalement leurs prix.

Jusqu’aux années 70, l’alimentation des petits ruminants était basée à 80% sur la végétation naturelle des parcours ; le reste de la ration était constitué par des sous-produits agricoles (chaumes et pailles, taille des oliviers) et agro-industriels (grignons d’olive, pulpe de tomate, son) et des aliments concentrés (orge d’importation). Par la suite, l’usage des aliments concentrés dans la ration des ruminants n’a cessé de se développer, augmentant notre dépendance vis-à-vis du marché international.

Cette dépendance est totale pour l’aviculture industrielle et quasi-totale pour l’élevage bovin laitier qui doivent leur développement et leur intensification aux aliments composés à partir d’aliments concentrés d’importation. Leurs rendements et la qualité de leurs produits se sont améliorés, du fait de l’amélioration de la qualité de l’alimentation et des techniques d’élevage. Ce développement et cette intensification n’ont pas beaucoup concerné les élevages ovins et surtout les caprins et les camelins, dont les effectifs ont beaucoup régressé et qui ont été refoulés dans les régions désertiques et montagneuses, sur des parcours très pauvres qu’ils étaient seuls à pouvoir utiliser et valoriser.

Dans les décennies des années 60 et 70, les parcours occupaient, plus de 8 millions ha dont plus de 2 millions d’ha de parcours ont été livrés à la céréaliculture et à l’arboriculture, réduisant la superficie es parcours à près de 5,5 millions ha - dont 70% en zone aride – une superficie qui continue à diminuer. La production fourragère de ces parcours est limitée et très variable d’une année à l’autre. En outre, 80% de ces parcours sont des terres collectives, que se disputent les éleveurs.

L’introduction des aliments composés dans la ration des petits ruminant a eu des effets pervers ; elle a provoqué l’augmentation en nombre, des petits ruminants, alors même que la superficie des parcours se réduisait entrainant la surexploitation et la dégradation de ces parcours.  L’accroissement du cheptel a enntraîné des besoins alimentaires plus importants que ne pouvaient plus offrir des parcours dont les superficies se sont rétrécies comme une peau de chagrin. La contribution les parcours a, en effet, accusé une chute continue et ne représente actuellement que 10 à 20% de la ration alimentaire des ovins et une proportion minime de la ration des caprins et des dromadaires. L’utilisation des aliments concentrés et de certains fourrages, importés et subventionnés, sont venus combler le déficit fourrager sans corriger la ration alimentaire. Contre toute logique nutritionnelle, l’aliment concentré était devenu l’aliment de base et le fourrage l’aliment complémentaire.

Devant l’augmentation continue des prix des aliments concentrés d’importation et la levée de la subvention accordée par l’Etat à ces importations, les éleveurs de ruminants ont été obligés d’utiliser de moins en moins d’aliments concentrés d’importation et de recourir à des ressources alimentaires locales tels que les résidus de récolte, des sous-produits agricoles et agroindustriels : chaumes, raquettes de cactus, arbustes fourragers, paille traitée à l’urée, sous forme de blocs, bouchons ou ensilages.

Compte tenu de l’importance de la céréaliculture dans notre pays (environ 1,5 millions d’ha), les chaumes et les pailles sont disponibles en bonnes quantités. Ces deux aliments sont riches en fibres et pauvres en azote et en minéraux, et ne permettent pas de couvrir les besoins de l’animal. Le traitement des pailles aux alcalis a fait l’objet dans les années 80 de nombreux travaux de recherche qui ont démontré que le traitement de la paille à l’ammoniac anhydre ou à l’urée augmente sa teneur en azote, améliore sa digestibilité et donc les performances des ovins, notamment. Malheureusement, cette technique n’a pas pu être utilisée par les petits éleveurs tunisiens, à cause de son coût.

 

Un programme de recherche mené par l’INRAT dans les années 80 a permis d’évaluer le potentiel nutritionnel de différentes catégories de grignons d’olives et de tester des rations d’entretien les intégrant sous forme d’ensilage, de blocs alimentaires et de bouchons. Compte tenu de l’expansion de la culture de l’olivier, les quantités de grignons d’olive sont plus importantes que les quantités de pulpes de tomates ou de marcs de raisin et de drêches de brasserie. Toutefois, les grignons ont une faible valeur nutritive et ils sont périssables à cause de leur taux d’humidité élevé ; de plus, leur transport est coûteux. En dépit de ces inconvénients, ils sont très utilisés dans l’alimentation des petits ruminants et des dromadaires, en particulier pendant les périodes de disette. En outre, l’augmentation des prix des aliments concentrés a entrainé une demande accrue de grignons dont le prix a grimpé. Par ailleurs, un courant d’exportation de grignons vers l’Europe, comme combustible, s’est développé, limitant leur disponibilité sur place.

L’ensilage des sous-produits industriels est une technique d’usage courant dans les pays du sud de l’Europe pour la conservation de la pulpe de tomate. Le succès de cette technique repose sur le processus de fermentation et par conséquent, sur une parfaite maîtrise de toutes les conditions d’ensilage. L’ensilage du mélange grignons d’olive et autres produits tels que le son, les raquettes de cactus, et autres, permettrait de remplacer totalement le foin d’avoine ou une ration composée de foin d’avoine et de concentré et réduirait l’utilisation d’aliments d’importation.

L’utilisation des blocs alimentaires est une autre technique de conservation des sous-produits industriels pour de longues périodes. Ces blocs sont composés d’un mélange de sous-produits, de sel comme conservateur, d’urée comme source d’azote, de minéraux et d’un liant. Le bloc, léché et grignoté à longueur de journée, permet un apport équilibré, d’énergie, d’azote et de minéraux. Ces principaux nutriments sont ainsi présentés à un ruminant recevant un fourrage pauvre ou conduit sur des parcours dégradés. Cette technique - utilisée dans les années 30 pour nourrir les ovins pendant les périodes de disette - permet de remplacer partiellement ou totalement les aliments concentrés et de réduire les coûts de production ; mais ce n’est qu’à partir des années 90 que les recherches se sont intensifiées pour mettre au point une large gamme de blocs basés sur des ingrédients locaux. Les essais sur ovins et caprins soumis à des régimes pauvres ont bien montré l’intérêt de ces blocs alimentaires.

La plantation d’arbustes fourragers constitue une réserve alimentaire sur pied, disponible en cas de nécessité, constitués d’espèces arbustives résistantes à la sécheresse (cactus) et pouvant se développer dans des terres marginales (Atriplex, Acacia), qui pourraient réduire le recours aux fourrages cultivés et aux aliments concentrés. Toutefois, ces arbustes sont généralement déséquilibrés en nutriments ; de leur côté, les raquettes de cactus si elles sont riches en sucres en vitamine A, sont pauvres en azote et en fibres. De son côté, l’Atriplex a une teneur élevée en azote mais il est peu énergétique alors que l’Acacia est riche en azote mais cet azote n’est pas entièrement digestible à cause des tanins. Ces exemples fixent les limites de chacun de ces arbustes, utilisé seul pour la réhabilitation des parcours, mais l’association des trois : cactus, atriplex et acacia, peut remédier à ces contraintes.

Le cactus inerme, est une espèce très appréciée par les éleveurs autant que par les agriculteurs. Elle est adaptée à la sécheresse, et a une croissance rapide. Comparée à l’acacia et à l’atriplex, le cactus est l’espèce la plus appréciée et la plus sollicitée par les éleveurs. En plus de leur rôle fourrager, les raquettes sont gorgées d’eau (85-90%) et contribuent à résoudre le problème d’abreuvement du cheptel dans les zones arides ou pendant les périodes de sécheresse. C’est aussi une source de revenu par la vente des fruits et des raquettes. En outre, sa richesse en sucres permet de remplacer l’orge dans la ration et sa supplémentation azotée permet d’améliorer les performances des petits ruminants.

En dépit de ces recherches concluantes, au lieu d’adopter ces techniques valorisant les sous-produits agricoles et agroindustrielles, les gouvernements qui se sont succédés ont continué à importer des bouchons de luzerne et à les distribuer aux éleveurs à des prix subventionnés, alors que les chercheurs de l’INRAT avaient développé une formule de bouchons à base de grignons d’olive, de son, de tourteau de colza, de sel et de minéraux dont la valeur alimentaire s’était révélée similaire et dont le coût n’était que de 30% du prix des bouchons de luzerne importés (150 millime le Kg contre 450 millimes).

Ces diverses options techniques, n’ont pas fait l’objet de campagne de vulgarisation suffisantes pour convaincre les éleveurs de les adopter. Une approche participative, commençant par des enquêtes sociologiques sur les communautés ciblées et sur leur environnement, permettrait de réussir le processus de transfert et d’adoption de ces techniques.

La meilleure stratégie pour atteindre notre autonomie alimentaire est de développer nos ressources fourragères locales. La recherche a développé de nombreuses techniques permettant d’améliorer les performances animales et de sauvegarder notre cheptel pendant les périodes de disette. Ces techniques ont pour objectif la réduction de l’utilisation des aliments concentrés importés et de réduire les coûts de l’alimentation du cheptel. Une harmonisation des méthodes de transfert des options techniques s’avère indispensable et une coordination entre les partenaires concernés devrait être ciblée. Enfin, il est temps d’analyser les leçons tirées des stratégies et des projets antérieurs ciblant l’amélioration du secteur d’élevage en Tunisie.

 

Dr. Khaled El Hicheri

 

 

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