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La rivalité entre le laboratoire vétérinaire et l’Institut Pasteur de Tunis *

 La rivalité entre le laboratoire vétérinaire et l’Institut Pasteur de Tunis *

 Dès sa création, l’Institut Arloing fut en butte à l’hostilité et aux attaques des responsables de l’Institut Pasteur de Tunis (IPT). Une rivalité assez vive opposait en effet le Dr. Ch. Nicolle, alors directeur de l'IPT, au Dr. Ducloux directeur de l'Institut Arloing. Tous deux se disputaient des prérogatives et des compétences que chacun estimait revenir à l’institut qu’il dirigeait.

 

Rappelons à cette occasion que l’IPT n’était, au départ, qu’un laboratoire des procédés de vinification, installé en 1893, à la demande du Résident Général de France en Tunisie. Les activités de ce laboratoire s’étendirent progressivement à la vaccination antirabique puis à la production de vaccins et aux analyses bactériologiques. Ce n’est qu’en 1900 qu’il reçut, par décret beylical du 14 février 1900, la dénomination d’Institut Pasteur.

 

Cette rivalité, due probablement au fait que, de 1901 à 1903, l’IPT fut dirigé par le docteur vétérinaire Ducloux, allait aboutir après une longue querelle et, dès la retraite du Dr. Ducloux, au rattachement à l'Institut Pasteur d'une partie des prérogatives de l'Institut Arloing. En 1931, le décret  du 1er mai 1931rattachait en effet à l’IPT, le service de fabrication et de vente des sérums et vaccins vétérinaires, jusqu'alors dévolus à l'Institut Arloing et autorisait l’IPT à effectuer des recherches sur les maladies infectieuses des animaux domestiques et des analyses microbiologiques vétérinaires. Il réduisait en outre l'effectif du personnel de l'Institut Arloing à un chef de laboratoire, deux préparateurs, un aide de laboratoire, un économe-comptable et un chaouch.

 

Le 18 avril 1933, un accord, faisant suite à un arbitrage rendu par le Pr. Vallée, fut signé entre le Pr. Ch. Nicolle, directeur de l'Institut Pasteur, et le Pr. Cottier, directeur du service de l'élevage et de l'Institut Arloing. Cet accord réglementait les rapports entre les deux instituts dans un esprit de complémentarité, évitant les sources de conflits. Le poste de chef d'établissement de l'Institut Arloing fut supprimé et le chef du Service de l'Élevage, lui-même vétérinaire, assuma dès lors la direction de l'Institut qui, bien que diminué, n'en continua pas moins à remplir parfaitement le rôle qui lui était désigné en tant que laboratoire d'analyse, de contrôle et de recherche.

 

En 1933, le personnel chargé d’assurer les services techniques, sous l’autorité du chef du Service de l’Élevage, comprenait un chef de laboratoire, Melle Cordier, un vétérinaire inspecteur de l’élevage, Mr. J.Menager, deux préparateurs, MM. Abdelaziz Ounaies et de Saint-Paul, une aide de laboratoire, Mme Seyvoz, un technicien d’élevage, Mr. Hassouna Kéfi et un assistant de laboratoire, Mr. M.P. Nobecourt. Le laboratoire était alors flanqué de trois annexes : une laiterie, une basse-cour et un rucher. Les maladies les plus fréquemment diagnostiquées à l’époque, étaient : La gourme et les piroplasmoses chez les équidés, les brucelloses et la fièvre aphteuse chez les bovins, la clavelée, les intoxications et le parasitisme chez les petits ruminants, les coccidioses chez les lapins et la spirochétose et la variolo-diphtérie chez les volailles.

 

L’Institut Arloing avait été construit sur un terrain de 12 ha qui constituait son patrimoine foncier sur la colline de la Rabta. Je n’en ai retrouvé que 5 ha lorsque je fis faire, en 1994, une étude foncière qui délimitait la superficie occupée par l’IRVT et qui avait pour but d’inscrire les bâtiments de l’Institut au patrimoine national pour le protéger de décisions administratives aveugles et intempestives. Depuis, la plus grande partie de ce terrain a été cédée au ministère de l’enseignement supérieur pour la construction de la nouvelle faculté de médecine et il doit rester actuellement de ce patrimoine, moins de deux hectares.

 

Sur ces terrains, les chercheurs de l’institut Arloing poursuivaient l’expérimentation de cultures et de plantations de diverses plantes rustiques, pouvant servir dans l’alimentation du bétail et plus particulièrement durant les périodes de sécheresse. Il s’agissait notamment des atriplex, du saccharum biflorum, du Napier, du cactus inerme, de la luzerne arborescente et de certains Phalaris et sorghos. L’Institut jouait également le rôle de jardin d’acclimatation ; c’est ainsi que des essais d’acclimatation de plusieurs essences forestières et fourragères, dont la luzerne arborescente, en provenance des colonies françaises, en Afrique et en Océanie, avaient été tentés, parfois avec succès.

 

En collaboration étroite avec les agriculteurs, l’Institut avait étendu le nombre de ses stations expérimentales dans divers points du pays pour tester ces plantes. Des essais de rationnement étaient également entrepris avec les sous-produits de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire et les chercheurs de l’Institut étaient arrivés à la conclusion que les grignons d’olives non épuisés et non dénoyautés, pouvaient être introduits dans les rations des vaches laitières à certaines doses, en fonction du poids et de la production laitière journalière.

 

En 1951, après moult péripéties, le décret du 28 juin 1951 ramena l'Institut à sa vocation première. Malheureusement un projet de fusion avec l'IPT, qui était revenu à la charge, n'ayant pas obtenu pleine satisfaction vingt ans auparavant, en 1931, fût avancé en 1953, à l'occasion d'une enquête administrative du Secrétariat Général du gouvernement, sur l'Institut Arloing. Le Ministre de l'Agriculture et le Conseil de l'Ordre des Vétérinaires de l'époque s'y opposèrent vivement. Une phrase relevée dans une note explicative de l'époque est, à ce propos, révélatrice de l'état d'esprit qui régnait :" Sans risque de faire erreur, on peut affirmer que cette annexion prend figure, pour les dirigeants de l'Institut Pasteur, d'une visée traditionnelle d'expansion ".

 

J’ajouterais que, depuis, rien n’a changé et les directeurs de l’Institut Pasteur de Tunis qui se sont succédés n’ont jamais cessé de vouloir dépouiller l’institut de la recherche vétérinaire des quelques prérogatives qui lui restaient, effectuant entre autres, des diagnostics de laboratoire sur des prélèvements d’animaux, aidé en cela par des vétérinaires transfuges de l’IRVT ou recrutés directement par l’IPT. L’IRVT reste néanmoins l’outil préféré des Services Vétérinaires et leur laboratoire de référence bien qu’il ne soit plus rattaché directement à ces services.

 

En fait, depuis sa création sous la forme d'un laboratoire d'appui du service de l'élevage en 1897, voilà déjà plus d'un siècle, notre Institut, qui depuis 1912 jusqu’en 1961, porta le nom d'Institut Arloing pour adopter deux dénominations successives, celle d’ Institut National de la Recherche Vétérinaire (INRV), en 1961 puis celle d’ Institut de la Recherche Vétérinaire de Tunisie, en 1970, n'a pas cessé, depuis, de fondre son activité avec celles des services qui, sous différentes appellations, se sont occupés des productions animales et de la santé des animaux et de traiter de toutes les questions relevant des sciences et des disciplines vétérinaires.

Dr. Khaled El Hicheri

*Extrait du livre du Dr. Khaled El Hicheri « la médecine vétérinaire en Tunisie : passé, présent, et avenir ».

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