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Les races bovines autochtones doivent-elles disparaitre ?

Les races bovines autochtones doivent-elles disparaitre ?

Le cheptel bovin national est formé par une population bovine autochtone/locale, constituée de deux races : la « Brune de l’Atlas » et la « Blonde du Cap Bon » et par des individus issus de multiples croisements réfléchis ou anarchiques ainsi que du croisement dit « d’absorption », et des bovins de races pures importés. 

Depuis le début du siècle précèdent, de nombreuses races européennes, majoritairement françaises - Montbéliarde, Brune des Alpes, Tarentaise, Frisonne, Normande, Charolaise, Limousine, - ont été importées par les colons en vue de leur élevage en race pure et/ou de leurs croisements avec les bovines locaux, dans l’objectif d’améliorer leurs performances (croissance, conformation, production laitière et de viande), au gré des goûts du moment, ou des exigences des projets financés dans le cadre de l’aide bilatérale.  

Afin de limiter les effets de cette anarchie génétique, le ministère de l’agriculture a tenté de canaliser ces croisements en fonction des ressources alimentaires disponibles dans les différentes régions du pays, permettant l’expression des potentialités génétiques d’un cheptel local amélioré par l’apport de gènes de bovins exogènes plus performants.

Au début des années soixante-dix, le troupeau bovin autochtone, après avoir été sujet à des croisements anarchiques, a finalement fait l’objet d’un programme de croisement, basé uniquement sur le croisement d’absorption de la population bovine locale par les races Frisonne, Brune des Alpes et Tarentaise, en mettant en place des centres et des circuits d’insémination artificielle et par les prêts de taureaux de races à double fin (tarentaise ou brune des alpes) pour la saillie naturelle dans les zones éloignées ou difficilement accessibles.

Rappelons que le croisement d'absorption consiste à utiliser continuellement de la semence ou des mâles d'une race absorbante, plus adaptée au contexte économique, sur des femelles d'un cheptel bovin dont les performances et le potentiel génétique ne répondent plus aux besoins des consommateurs. Cette infusion/profusion de gènes de plusieurs populations bovines exogènes, a causé une l’érosion génétique du patrimoine génétique bovin national et a transformé la population bovine autochtone en un réservoir de gènes dont on ne connait ni les effets sur les performances ni ceux sur l’adaptation au milieu ou sur la résistance aux maladies.

La composition du cheptel bovin national s’en est trouvée modifiée : en 1974 les races pures représentaient 6% d’un cheptel de 407.000 bovins. Elles représentent maintenant près de 60% de ce cheptel, avec 95% de Frisonne-Holstein, 4% de Brunes des Alpes et 1% de Tarentaises et autres.  Ce changement au niveau de la composition du cheptel est aussi observé au niveau de sa répartition géographique qui montrent que 72% de ces effectifs de races pures sont localisés au Nord du pays, 24% au Centre et 4% au Sud.

Sur le plan morphologique, l’étude des écotypes bovins rencontrés montre qu’il s’agit d’une population hétérogène où les différences entre les individus sont surtout liées à la couleur de la robe et à la conformation générale des animaux. Néanmoins, et malgré cette hétérogénéité, cette population ne forme qu’un seul groupe d’individus bien qu’elle soit géographiquement dispersée. La diversité rencontrée au sein du groupe dénote une variabilité individuelle plutôt qu’une variabilité de population.

La population bovine locale est consanguine ; 85% des individus sont similaires et présentent une faible diversité génétique. Il s’agirait en fait d’une même race formée par une population morphologiquement hétérogène. Ceci est confirmé par les caractéristiques morphologiques des écotypes rencontrés : des types de bovins très diversifiés, en couleur et en format. Cette diversité serait due au fait que la reproduction a toujours été effectuée au hasard, dans une population métissée, issue des produits de croisements multiples avec des races étrangères. Le résultat est que, dans les élevages du système traditionnels pratiqué par les petits agriculteurs, la notion de race pure n'a pas de beaucoup de sens et c'est plutôt la rusticité et la productivité qui comptent.

Dans les élevages identifiés par les chercheurs pour inventorier les groupes ou individus de races locales du type Brune de l’Atlas, c’est la saillie naturelle qui est pratiquée, les vêlages sont faciles dans la plupart des cas, l’allaitement ne présente aucune difficulté, et les cas de mortinatalité sont très rares malgré l’absence de suivi sanitaire. Toutes ces observations confirment la rusticité et l’adaptation de ces populations aux conditions climatiques et édaphiques locales, sévères.

En Tunisie, la population bovine locale descend essentiellement de la race Brune de l’Atlas qui est commune à toute l’Afrique du Nord.

En 1889, parmi les populations bovines du nord de la Tunisie, deux écotypes ont été identifiés, le premier prédominant, est rattaché à la race Brune de l’Atlas, le deuxième, rattaché à la Blonde du Cap-Bon.

En 1905, une épizootie de piroplasmose bacilliforme a été à l’origine de l’importation de zébus« Brahma » du Pakistan, réputés résistants aux piroplasmoses dont notamment à la Thélériose qui provoquait d’importantes mortalités sur le cheptel bovin de races pures d’importation.

En 1912, le service de l’élevage constatait que les résultats du croisement zébu étaient satisfaisants et que les produits issus de ces croisements présentaient une précocité, une rusticité et surtout une résistance particulière aux affections épizootiques.

En 1949, un retour aux races de zébu et une importation massive de taureaux de zébu « Red Sindhi » pour la viande et « Sahiwal » pour le lait, eu lieu. Ce qui explique la présence d’animaux ayant les caractères de l’espèce zébu dans les troupeaux locaux.

En 1931, La Direction de l’élevage mentionne d’autres croisements de la Brune de l’Atlas avec des races Européennes importées : Charolaise, Bretonne, Aubrac, Brune des Alpes, Normande, Tarentaise, Salers, races Italiennes de Sicile ou de l’Ile de Pantelleria.

A partir de 1964, la Tunisie a opté pour le système coopératif en matière de gestion des exploitations des colons. Ce système de gestion mal préparé a échoué et les effectifs bovins de ces coopératives ont fondus comme neige au soleil, sous l’effet conjugué de périodes de sécheresses, d’incompétence des gestionnaires et des rapines des « coopérateurs ».

Face au déficit alimentaire, de nombreux pays, dont la Tunisie, – sur les conseils d’experts étrangers soucieux de promouvoir les races animales de leurs pays d’origine – ont choisi l’option d’importer des ressources génétiques animales exogènes, plus performantes, sans tenir compte de nos ressources fourragères nationales limitées et sans avoir ni les moyens ni la capacité nécessaires pour concevoir un plan d’amélioration génétique, pour exécuter ce plan sur le long terme et pour évaluer avec précision l’impact de ces gènes exogènes sur les performances des races locales. Toutes ces interventions ont eu comme conséquence la rétrogradation de l’importance accordée aux bovins autochtones et par là, à la réduction de leurs effectifs alors que cette population bovine possède des qualités d’adaptation remarquables et qu’elle joue un rôle important dans les systèmes d’élevages pratiqués dans les petites exploitations, dans les régions d’accès difficile et par les éleveurs sans terres.

La Brune de l’Atlas et la Blonde du Cap Bon sont les deux races qui forment la population bovine autochtone. Toutes deux courent le danger d’être absorbées par les races européennes et de disparaitre à courte échéance ; d’ailleurs, la race Blonde du Cap est en voie d’extinction, ses effectifs se réduisent à quelques individus dispersés dans le Cap Bon et de rares unités dans les régions de Kairouan et de Béja. 

La « Brune de l’Atlas » est composée de deux variétés différentes par la couleur de la robe : la varièté « Hammami » gris clair dont l’aire géographique est le Cap-Bon (Cannepin, 1956) et la varièté « Arbi » fauve foncé et extrémités noires, que l’on retrouve partout ailleurs. Ces deux variétés ont des traits communs : une taille réduite de 110 à 120 cm, des cornes courtes, en crochet ou en croissant ; une tête généralement forte et large, un poids qui oscille entre 200 et 350 kg (Haffani, 1966). Elles se distinguent par leur rusticité et leur parfaite adaptation aux conditions de vie difficiles.

La « Blonde du Cap Bon » encore appelée « Grise du Cap-bon », est un écotype composé également de deux variétés différant légèrement par la couleur de la robe : La variété "Zarga" dont la robe est bleu-grise, et la variété « Chahba » dont la robe est gris clair.Toutes deux ont des traits communs : la tête allongée, le front, légèrement creux, les cornes petites et en croissants (Clavieras, 1956)

Lors de cet inventaire, les principaux écotypes de bovins autochtones rencontrés ont été photographiés et décrits par les chercheurs ; des prises de sang ont été effectuées et collectées dans des tubes contenant un anticoagulant, pour une étude de diversité génétique. Le génotypage des animaux a été réalisé à la Banque Nationale des Gènes à l’aide de marqueurs moléculaires dominants. La révélation du polymorphisme des produits d’amplification a été réalisée par électrophorèse dans un séquenceur automatique et les données collectées ont été automatiquement analysées, en utilisant un logiciel spécifique. Cet effort doit continuer et s’intensifier si on veut préserver la « Brune de l’Atlas ».

Le programme de conservation de la vache locale, retenu à l’échelle nationale, gagnerait à établir une distinction entre les aspects de conservation et ceux relatifs à la gestion génétique en race pure. L’utilisation des reproducteurs améliorateurs en première génération ou F1 (vaches locales x mâle pure race) est préconisée pour l’amélioration des performances tout en conservant l’écotype local dont les races devront être définitivement fixées. Cette approche est économique et permettrait de maintenir une bonne proportion de gènes locaux.

Il en ressort toutefois que le nombre total des bovins de races autochtones inventoriés, est extrêmement faible, notamment pour ce qui concerne la Blonde du Cap-Bon où la proportion de mâles n’est plus que de 11%. Ce faible rapport mâles/femelles, est révélateur d’un risque d’extinction imminent de la race. En effet, selon les normes de la FAO, si le nombre de femelles reproductrices est compris entre 100 et 1000 et que le nombre de mâle est inférieur ou égal à 20, le danger d’extinction est flagrant. 

Dr. Khaled El Hicheri

 

 

 

 

 

 

  

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