La
pomme de terre : produit alimentaire stratégique
Ces derniers jours, une polémique soulevée par l’importation de pommes de
terre de Turquie est venue alourdir un climat de crise politique. Que
savons-nous de ce tubercule originaire d’Amérique du sud, plus précisément de
la Cordillère des Andes, et dont la culture est devenue universelle ?
La P de T est le troisième produit
alimentaire le plus consommé dans le monde après le riz et le blé et sa culture
occupe près de 20 millions d’hectares. La production mondiale est estimée à 370
millions de tonnes. Les plus gros producteurs sont : la Chine avec 25% de
la production mondiale, suivie de la Russie avec 12% de la production mondiale
et de l’inde.
La pomme de terre est probablement le légume le plus
consommé dans le monde. On le retrouve comme aliment essentiel de la diète des
consommateurs de la plupart des pays. C’est aussi un féculent dont l’amidon est
utilisé dans l’industrie agroalimentaire et qui peut remplacer la farine dans une
bonne partie de l’alimentation. Les industries alimentaires
transforment la pomme de terre qu'on retrouve dans les surfaces de consommation
en version surgelée à partir de laquelle les frites servies dans les restaurants
sont généralement préparées. En plus de ces frites industrielles, il existe
aussi des chips faites à base de ce tubercule. Mais c'est dans l'industrie non
alimentaire que se trouvent la plupart de ses débouchés.
C'est vers la fin
du 16 ième siècle, après la découverte de l'Amérique, que la plante est
introduite en Europe, et de nos jours, plus de 150 pays dans le monde cultivent
la pomme de terre ; mais toutes les pommes de terre ne se ressemblent pas.
Le nombre de variétés est considérable, en
fonction de la nature des sols, du climat, des goûts des consommateurs, des
usages culinaires et industriels et de bien d’autres facteurs culturels ou
économiques. Il existe plus de 3 000 variétés de P de T dans le monde (certaines, non
utilisées pour l'alimentation). Seulement 12% d’entre-elles sont enregistrées
en Tunisie (dont la variété « Spunta » qui représente 85% du total
des pommes de terre produites en Tunisie ou importées).
Culture et production
Sa culture occupe une superficie de plus de 26.000 ha soit 15% de la superficie
maraichère totale. Elle est cultivée
par près de 20.000 exploitants agricoles, pour la plupart des petits
producteurs disposant de faibles superficies. La production totale de P de T est de plus de 390
mille tonnes, soit environ 14% de la valeur de la production maraîchère
totale. La culture de saison (février à mai), représente plus de 50% de la
superficie consacrée à la P de T. La totalité des plantations sont irriguées (près de 90% des superficies
emblavées sont équipées de système goutte à goutte). La culture de la P
de T nécessite environ 400 à 500 mm d’eau, dont 80 à 85% d’eau d’irrigation et
seulement 15 à 20% d’eau de pluie. Considérant nos faibles ressources
hydriques, ces besoins en eau constituent le principal facteur limitant au
développement de cette culture dans notre pays. Malgré ce facteur limitant, la culture de la P de T en
Tunisie s’est beaucoup développée ces dernières décennies. Le taux de
croissance des superficies emblavées en pomme de terre a été de l’ordre de 9%
par an et ces superficies estimées à 1000 ha au début des années 1980 sont
actuellement de 26.000 ha, dont 50% de pommes de terre de saison, plus de 40%
de pommes de terre d’arrière-saison et près de 10% de primeur.
La production
est caractérisée par 4 saisons de culture et 3 catégories de P de T, classées en :
Précoce, extra-primeur et primeur : plantées en hiver, elles sont récoltées
trois mois plus tard.
De saison ou Semi-tardives
D’arrière-saison ou tardives ou encore pommes de terre de conservation : plantées en avril-mai elle sont récoltées à maturité, 4
ou 5 mois plus tard.
En Tunisie, les pommes de terre sont essentiellement produites au Cap Bon,
Bizerte, Jendouba, Gafsa, Kasserine et Sidi Bouzid. Le Cap bon contribue pour près
de 50%
dans la production de saison et pour près de 30% dans la production de l’arrière -saison.
Les rendements sont
très faibles ; ils ne dépassent pas 15 tonnes/ha et la dépendance du
marché extérieur pour l’approvisionnement en semences ainsi que la volatilité
des prix des intrants, influencent sa contribution dans la production agricole
totale.
Un autre facteur limitant est constitué par la faiblesse de la production
nationale de semence et la dépendance du marché extérieur. La Tunisie ne
produit en effet que les semences destinées à la culture de pommes de terre d’arrière-saison
et une partie des semences de primeur. Les besoins en semences de ces cultures
sont évalués à 8000 tonnes dont 5000 tonnes sont importées. Pour la culture de
saison, l’approvisionnement en semences se fait essentiellement à partir des
semences importées. Le volume de ces importations est passé de près de 6.000
tonnes au début des années 1980 à près de 27.000 tonnes en 2018. L’augmentation
continue des superficies destinées à la culture de pommes de terre entraîne
l’augmentation des besoins en semences. Ces
plants doivent être de la meilleure qualité possible et avoir été soumis à un
programme technique de détection et de lutte contre les principales et
nombreuses maladies de ce tubercule.
Stockage et conservation
Le stockage des P de T a pour
objectif de conserver ces tubercules en minimisant les pertes dues aux processus physiologiques,
aux maladies et aux ravageurs, en maintenant le meilleur niveau de qualité en fonction de leur utilisation
ultérieure pour la consommation humaine (marché du frais ou transformation
industrielle), pour la production de fécule, ou pour la production de semences
(plants). Pour les variétés autres que les variétés précoces, une conservation sur
une longue période peut se faire. Un inhibiteur de germination peut être
utilisé par saupoudrage des P de T 30 jours après la récolte. Depuis 2010, un
traitement naturel à base d'huile de menthe verte est autorisé. Cette huile
possède un fort pouvoir antigerminatif et la propriété de limiter la gale
argentée. Une fois les conditions techniques optimales réunies, la conservation
pourra durer de 8 à 12 mois alors que cette durée n’est que de quelques
semaines en cas de conservation à température ambiante à la ferme.
Les conditions essentielles à respecter, outre celle de
disposer de tubercules en bon état sanitaire, sont le maintien de l'obscurité,
une ventilation adaptée et le contrôle de la température, en fonction des
objectifs du stockage, tant en termes de durée que d'utilisation finale des tubercules.
Le marché de la pomme de terre
Le marché local absorbe 96% de la production et seulement 4% de cette
production est exportée. La pomme de terre est vendue en vrac sur les marchés, parfois
calibrée mais non lavée. La variété « Spunta » est la plus demandée.
Appréciée pour le volume important de ses tubercules, elle est de culture
facile et se comporte bien en culture d’arrière-saison. Des pommes de terre de
qualité, propres, triées, calibrées, pré-pesées, emballées avec l'indication
culinaire de la variété (destinée à la friture ou à la cuisson), sont
disponibles au niveau de la Grande Distribution. Par contre, le secteur de la
transformation de la pomme de terre en chips et frites précuites et congelées,
principalement destinées aux restaurants et aux hôtels, demeure dérisoire.
Malgré la place prépondérante qu'occupe la pomme de terre dans le régime
alimentaire des ménages tunisiens, les producteurs demeurent confrontés à des
difficultés majeures de commercialisation, notamment au cours des productions
de pointe
La stratégie de développement
Pour le développement de la production l’Etat a adopté une stratégie basée
sur :
-
L’adoption des systèmes de cultures intercalaires dans
les périmètres irriguées dans un contexte où l’offre en eau sera de plus en
plus limitée.
-
L’exploitation de nouvelles superficies et la promotion
de cette culture dans de nouvelles régions.
- L’intensification
de la production locale et de la multiplication des semences et plants sélectionnés par la réduction des charges et une
meilleure maîtrise des techniques de production et l’incitation du secteur privé à investir dans cette activité.
- L’amélioration de la compétitivité des semences locales
par application des droits de taxation
-
L’utilisation des moyens de stockage frigorifique
-
La promotion de nouvelles variétés économes en eau, plus
résistantes aux maladies.
-
L’encouragement de la production de la P de T de la
variété «Nicola».
-
La constitution d’un stock régulateur de pommes de terre
de 40 mille tonnes environ.
- L’adoption de prix garantissant les intérêts des
agriculteurs au cours de la période d’arrachage.
- Le développement de la méthode de stockage traditionnel
comme mécanisme de régulation des prix, et ce, en permettant à 40 mille tonnes
supplémentaires de bénéficier du programme de protection contre la « teigne »,
mis en oeuvre depuis 2004.
La pomme de terre
pour remplacer les céréales
En Tunisie, la P de T est considérée comme une culture
stratégique. C’est un produit alimentaire de base très important ; la consommation par
habitant et par an est passée de plus de 26 kg en 1990 à 30kg actuellement. Ce légume figure dans de très nombreux plats que l’on retrouve sur la
table à l’heure des repas. C’est un produit alimentaire dominant dans la diète du tunisien,
bien que ce féculent riche en glucides, pauvre en lipides et en protides, soit un aliment
modérément énergétique.
La P de T a été retenue, dans le plan de développement économique et social
du pays, comme un produit pouvant se substituer aux céréales, en réduisant la
consommation de plats à base de céréales au profit des plats à base de pommes
de terre, ce qui pourrait contribuer à la réduction des prix des produits
alimentaires de base.
Sur le plan économique, la production de P de T présente plusieurs
avantages. Sa culture nécessite moins de superficies cultivables que les
céréales, tout en garantissant le rendement escompté car elle dépend peu de la
pluviométrie. En outre, ce produit présente l’avantage de ne pas figurer pas
parmi les produits subventionnés par la caisse de compensation. Contrairement
aux céréales, les P de T ne font pas l'objet de spéculation, le prix étant
régi, par la seule loi de l'offre et de la demande locale et non par les
fluctuations du marché international. De plus, la substitution partielle des P
de T produites localement, aux céréales, permettra d’alléger la balance
agricole des paiements en réduisant le volume des céréales importées.
Dr. Khaled El Hicheri
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