Dix ans après
Cet article résume et synthétise une partie de
ce qui a été dit, écrit et analysé par nos économistes et nos journalistes sur
la situation économique et sociale dans notre pays et sur sa gestion par le
parti dominant la scène politique.
Il y a déjà 10 ans, la « révolution » éclatait et chassait Ben Ali ; tous les espoirs étaient permis. Dix ans après, la situation économique et sociale s’est tellement dégradée qu’elle a chassé tout espoir. Le pouvoir d’achat est au plus bas, le niveau de vie de la population flirte avec la pauvreté, le revenu par tête d’habitant a chuté de 30% et le chômage, boosté par Covid-19, a dépassé les 18%. Notre monnaie n’en finit pas de sombrer, perdant plus de 40% de sa valeur, depuis 2011. Les investisseurs étrangers mettent la clé sous la porte et partent s’installer sous des cieux plus cléments et il ne se passe pas de jour sans que des dizaines de nos entreprises locales ne déposent leur bilan sans parler des centaines d’artisans, de commerçants et de prestataires de services qui cessent leurs activités et ferment leurs patentes.
Les espoirs de redressement économique et de reprise des activités, se réduisent au fil des jours. Nos économistes n’osent plus parler de croissance dans leurs prévisions ; les plus optimistes évoquent timidement une croissance de 1% pour 2021 - alors que le gouvernement table sur une croissance de l’économie de 4% - et parlent de la nécessité de réformes profondes, de volonté politique, de stabilité, de reprise du travail. Rien sur le plan pratique n’est venu concrétiser ces justes paroles.
Les gestionnaires du pays depuis 2011, pour disculper et se soustraire à la médiocrité de leur système de gouvernance, essayent de mettre toute la responsabilité sur le dos de la pandémie de covid-19. C’est vrai que depuis 2020, les effets de la pandémie ont affecté des pans entiers de notre économie : tourisme, transport sous toutes ses formes, produits manufacturés, activités de service. Mais qu’en est-il de la période 2011-2019 ? On aura tout vu durant cette période : des recrutements abusifs aux grèves incessantes qui ont mis à mal les secteurs minier et énergétique, en passant par le recul de l’autorité, le terrorisme, l’instabilité politique, l’expansion de l’économie parallèle, la corruption à tous les niveaux et, l’émergence de puissants lobby politico-économiques.
Face à cette
situation, les constats et les prévisions des économistes, qui ne cessent de
s’exprimer dans les médias, sont alarmants : les revenus de l’Etat sont au
plus bas, le niveau de l’endettement national est phénoménal, l’environnement
des affaires est malsain, la croissance est à l’arrêt, la désindustrialisation
atteint plusieurs secteurs où nos industries étaient compétitives, les
faillites de PME se multiplient (elles atteindraient près de 40%) et nos
entreprises publiques font face à des difficultés financières et structurelles
sans précèdent.
Notre
monnaie n’arrête pas de se déprécier, la balance commerciale est déficitaire, la
baisse des exportations (-15%) et des importations (matières premières, biens
d’équipement) est notable, l’économie parallèle se développe à un rythme
effréné et les produits de contrebande s’étalent au grand jour.
La corruption gangrène tous les secteurs et toutes les activités, la paupérisation de la population s’accélère (le taux de pauvreté aurait dépassé les 20%) et la classe moyenne qui faisait la fierté du pays, n’est plus qu’un vague souvenir.
Il est vrai que depuis 2019 l’impact de la pandémie de civid-19 sur l’économie a été sévère et le reste encore. D’ailleurs, à ce sujet, la mauvaise gestion de la crise sanitaire n’a fait qu’aggraver cet impact. Le système sanitaire a été défaillant et la classe politique a voulu surfer sur la crise comme elle l’a déjà fait sur la « révolution », ne tenant compte ni des avis de la commission scientifique ni de l’intérêt de la population. Nous avons tout fait tardivement alors que, les épidémiologistes vous le diront, en cas d’épidémie et qui plus est de pandémie, la « réponse rapide » est la clé du succès et le fait que l’on soit à seulement quelques dizaines de milliers de personnes vaccinées explique les rebonds de la maladie dans notre pays et la gravité de la situation épidémiologique. Les mots d’ordre de prévention et de protection : port du masque, distanciation, lavage des mains ou désinfection, ont fait leur temps et ne sont plus suivi par une population désabusée qui sombre dans le fatalisme.
Nos économistes ont analysé la situation économique prévalant dans le pays depuis une dizaine d’année. Ils ont posé leur diagnostic, multiplié les conseils et les avertissements et proposé un traitement basé sur des stratégies ambitieuses pour relever le pays, sur le rétablissement de la stabilité politique et fiscale, sur le démantèlement systématique des obstacles administratifs et législatifs érigés devant les investisseurs, sur le rétablissement d’un climat de confiance indispensable aux activités économiques, sur l’intensification de nos échanges légaux avec les pays limitrophes, sur la lutte contre la corruption, le commerce illégal et les lobby de toutes sortes.
Qu’ont fait nos gouvernants ? Ils ont accordé plus d’importance aux manoeuvres politiques qu’au développement économique et social ; ils ont adopté la politique du « wait and see » puis, lorsque la situation a atteint un seuil de non-retour, ils se sont précipités, en ordre dispersé, pour quémander des fonds auprès des instances internationales spécialisées et de pays supposés amis dont les plus généreux ont promis sans tenir. Dix ans après, « game over », les jeux sont faits et nous avons perdu l’occasion de faire de notre pays une démocratie réelle, économiquement avancée, où il fait bon vivre et élever ses enfants.
Dr. Khaled El Hicheri
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