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L’Administration publique : un monstre en léthargie.

L’Administration publique : un monstre en léthargie.

Le rapport de l'Institut national des statistiques (INS) sur les "Caractéristiques des agents de la fonction publique et leurs salaires de 2011 à 2015", avait déjà dépeint une situation suffisamment alarmante du poids de la masse salariale sur le budget durant cette période, du fait de la politique de recrutements massifs dans la fonction publique, adoptée sciemment par les gouvernements qui se sont succédés depuis la « révolution », et plus particulièrement, le gouvernement de la « Troïka ».

 

En effet, de 2011 à 2015, le nombre de salariés de l’Etat a subi une augmentation de 37,5%, passant  de près de 445 mille en 2011 à plus de 604 mille salariés en 2015, y compris ceux recrutés en 2013 dans le cadre de l’amnistie générale accordée aux opposants politiques des régimes precèdants.   

Ces recrutements n’ont pas cessé depuis ; ils ont eu un coût très élevé pour la communauté. La masse salariale de la fonction publique a plus que doublé en seulement 7 ans et pèse de plus en plus sur le budget. La rubrique « rémunération publique du budget » a subi une augmentation de plus de 102% de 2011 à 2018, passant de de 7,29 milliards de dinars à 14,75 milliards de dinars. Le PIB a baissé de près de 9% en 2020 et le taux de chômage a atteint 17.4 %. L’investissement public et privé a fortement décliné et l’inflation s’est établie à 5.7 % en moyenne, en 2020. Peut-on encore parler de développement économique et social, d’équilibre de la balance des payements, de possibilités de remboursement de la dette publique ?

Pour résorber les effets de ces recrutements massifs et injustifiés, le gouvernement de l’époque avait été amené à mettre en place une stratégie de restructuration et de départ anticipé à la retraite des agents de l’administration publique et des organismes sous tutelle, pour assainir une fonction publique pléthorique et inefficace. Le départ volontaire a été proposé aux agents âgés de 57 à 59 ans, l'État leur garantissant une pension à taux plein jusqu’à l’âge de la retraire. À partir de 60 ans, leur retraite serait prise en charge par la caisse de retraite idoine. Quelque 4.000 dossiers ont été déposés mais on ne connait pas la suite qui leur a été donnée.

 

Aujourd’hui, le nombre de fonctionnaires dépasse de loin les moyennes mondiales : 84 agents pour 1.000 habitants en Tunisie contre 20 à 35 agents pour 1.000 habitants pour les autres pays du monde. En contrepartie, depuis la révolution, les fonctionnaires travaillent moins ; les retards, l’absentéisme, les arrêts de travail pour maladie qui ont augmenté, et les grèves  incessantes, ne se comptent plus. Une étude statistique réalisée par l’Association tunisienne de lutte contre la corruption affirme que le temps réel de travail, passé par un fonctionnaire tunisien, ne dépasse pas 105 jours de travail/an. Certaines études avancent le chiffre incroyable de 8 minutes de travail effectif par jour.

 

L'administration tunisienne bat les records mondiaux en nombre de salariés de l’Etat. Ce nombre est de 800.000 entre les administrations publiques qui totalisent 690.000 fonctionnaires et les entreprises d'État par rapport à une population de 12 millions d'habitants. La majorité de l’effectif de notre administration est constitué de fonctionnaires qui représentent près de 77% des agents de la fonction publique pour près de 18% d’ouvriers et seulement 3,6% de contractuels. En 2015, selon l’INS, la répartition des fonctionnaires selon la catégorie, montre que près de 260.000 d’entre eux font partie des catégories A1 (20,5%) et A2 (34%), soit un taux d’encadrement de plus de 54%, ce qui devrait, en principe, nous classer parmi les meilleures administrations du monde par la qualité des prestations, la catégorie A étant le grade le plus élevé et le mieux payé. 

 

Pour avoir une idée de l’augmentation au niveau des salaires, en 5 ans (de 2011 à 2015) :

La catégorie A2 a connu une amélioration de plus de 86% de ses salaires par rapport à 2011.

Le salaire brut moyen mensuel a enregistré une augmentation de 23,18%

Le salaire brut moyen mensuel des fonctionnaires a progressé de 21,12%

Le salaire brut moyen mensuel des ouvriers a progressé de 33,68%,

Seuls 0,3% des fonctionnaires touchent moins de 700 dinars (3,2% en 2011).

60,2% des fonctionnaires sont rémunérés entre 1.100 et 1.700 dinars (45,5% en 2011)

23,4% des fonctionnaires touchent plus de 1.700 dinars (contre 15% en 2011).

50,1% des ouvriers, sont rémunéré entre 800 et 1.100 dinars (5,7% en 2011) et 44,3% entre 600 et 800 dinars (62,7% en 2011) et 4,3% touchent plus de 1.100 dinars (0,9% en 2011).

Depuis la révolution, si les effectifs et les salaires des agents de l’Etat ont fortement augmenté, l’inflation est aussi montée en flèche, mais le pouvoir d’achat continue à chuter et la productivité baisse au lieu de s’améliorer. Le taux d’absentéisme s’élève à 60% pour un total de 105 jours travaillés par an ; seul un fonctionnaire sur cinq, présents physiquement, travaille véritablement.

 

Avec 800 000 fonctionnaires qui absorbent 46 % du budget de l’Etat, l'administration tunisienne a l'une des masses salariales les plus élevées du monde ; autant qu'en Allemagne qui compte 82 millions d'habitants. Abid Briki, ministre de la Fonction publique et de la gouvernance (2016-2017), cité par un rapport de l'ITES (Institut Tunisien des Etudes Stratégiques), expliquait que 130 000 agents de la fonction publique n'ont pas de travail à effectuer. 

Selon le FMI, la masse salariale de la fonction publique représente plus de 14,4 % du PIB, les deux tiers des revenus fiscaux et la moitié du total des dépenses de l’État, et grève dangereusement les finances publiques. Les recrutements massifs sont une arme politique ; le recours à l'emploi public sert à calmer les contestations sociales. Au point qu'il n'y a pas assez de bureaux pour tous les fonctionnaires. À chaque revendication sociale, le gouvernement promet des emplois dans la fonction publique alors que les seules embauches réellement nécessaires sont liées à la sécurité, dans les départements de la Défense et de l’Intérieur. Près de 80 % des jeunes veulent devenir fonctionnaires parce que la sécurité de l'emploi est garantie ; c'est aussi beaucoup de possibilités d’activités en parallèle. Ils peuvent ne pas mettre les pieds dans leur lieu de travail pendant plusieurs jours. L'économie tunisienne n'a plus les moyens de s'offrir plus de 800 000 fonctionnaires

Entre le secteur privé qui exige la fin des tracasseries et des lenteurs administratives, le FMI qui réclame la baisse de la masse salariale et les diplômés au chômage qui réclament des emplois publics, l'équation est difficile à résoudre. Pourtant, si elle est modernisée, l'administration peut être un des instruments du développement économique et social. Sa digitalisation dont on ne cesse de parler, devient urgente, alors que nous en sommes encore au fax comme moyen de communication officiel privilégié. Les entreprises tunisiennes sont encore dans l’obligation de conserver cet outil - obsolète dans la plupart des autres pays - afin de pouvoir correspondre avec les administrations officielles. L’indice « Doing Business », place la Tunisie à la 88ème place mondiale sur 96, perdant 46 places en 7 ans et nous risquons de nous retrouver bientôt les derniers de la classe.

De toute évidence, notre pays fait face à un problème structurel de taille ; celui de la bureaucratie, un monstre en léthargie.  Le budget de l'État est au plus bas et l’Etat ne cesse de contracter des emprunts pour payer les salaires. La bureaucratie, la nouvelle constitution, la corruption, la fraude fiscale, le système d’élection, les revendications impossibles à satisfaire, la fuite des capitaux, les réformes impossibles à réaliser, les querelles partisanes, les appétits des politiciens, les gouvernements inefficaces, une autorité supérieure absente, des administrations centrales et régionales bloquant toute initiative, des institutions qui n’ont plus que le nom, des lois et règlements foulés aux pieds, une justice à la botte d’un parti, des emprisonnements et des relaxes abusives sans fondements juridiques et une société civile apathique vont finir par assassiner le PAYS. 

Dr. Khaled El Hicheri

  

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